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HÉLOÏSE.

pour comble d’impudence elle avait épousé un autre homme. Notre siècle a fourni un de ces exemples en la personne du maréchal de la... On assure (j’ai encore quelque peine à le croire), qu’il ne savait point le commerce de sa femme avec le comte de... lorsque le fils qui en était provenu avait déjà été naturalisé en plein parlement. Les conditions médiocres ne sont pas exemptes de cette irrégularité : combien voyons-nous de gens qui savent toujours toutes les nouvelles de la ville, excepté celles qui blessent leur domestique ? Ils ressemblent à celui dont Martial se moque si plaisamment[1], et ils profitent peu de l’ancien proverbe,

Ædibus in nostris quæ prava aut recta gerantur[2].


Les gens d’étude, je parle de ceux qui se renferment trop dans leur cabinet, la tête toujours remplie de quelque composition, se trouvent quelquefois dans le cas dont il s’agit présentement. Instruits autant qu’on le peut être du malheur domestique de Sylla et de Pompée, qui sont morts depuis tant de siècles, ils ne savent pas qu’on leur joue le même tour assez près de leur cabinet. Ainsi va le monde.

Un écrivain du XVIe. siècle se sert d’un fameux exemple pour confirmer la maxime qu’il avait posée, que ceux qui ont le plus d’intérêt à être avertis d’une infortune domestique sont les derniers qui la savent, au lieu qu’ils sont les premiers qui apprennent les nouvelles de ce qui leur doit être le plus indifférent. Solet usuvenire, dit-il[3], ut domestica mala ultimi sint qui nôrint, quorum maximé interest ea non ignorare, iidem principes nôrint aliena, et quorum nullus ad eos pertineat sensus. Après avoir allégué quelques raisons de cette bizarrerie, il rapporte qu’il n’y avait pas long-temps qu’un fort grand roi avait puni du dernier supplice ceux qui avaient déshonoré sa couche nuptiale, et que la promptitude de la punition ayant été telle, qu’il ne se passa point une heure entre l’accusation des coupables et leur mort, c’est une preuve que le prince n’avait point ouï parler un peu plus tôt de ce désordre, dont néanmoins la nouvelle avait couru au long et au large dans les pays étrangers. Accidit hoc quidem, me puero, in magnâ atque illustri Europæ regiâ quominùs diù obscura res esse posset, ut in reginâ, læsi pudoris fama priùs apud exteras gentes longè latèque evagata emanaret, quàm is, cujus in eo erat læsu majestas, maculam regio nomini impositam, eorum sanguine quorum erat scelere violata, elueret. Satis quidem potuit indicio esse, postremum omnium rescisse, ita sumptum de reis supplicium, ut inter id, et delatum sontium nomen, ne horæ quidem momentum intercedere sit passus[4].

(H) Elle allégua mille raisons à Abélard pour le dégoûter du lien conjugal. ] Ces raisons se réduisaient à deux chefs, au péril et au déshonneur à quoi le mariage exposerait Abélard. Je connais mon oncle, lui disait-elle ; rien n’apaisera son ressentiment ; et puis, quelle gloire tirerai-je d’être votre femme, puisque je vous ruinerai de réputation ? Quelles malédictions n’ai-je pas à craindre, si je dérobe au monde une aussi grande lumière que vous êtes ? Quel tort ne ferai-je point à l’église ? Quels regrets ne causerai-je point aux philosophes ? Quelle honte et quel dommage ne sera-ce point, si vous, que la nature a créé pour le bien public, vous consacrez tout entier à une femme ? Songez à ces paroles de saint Paul, Es-tu délivré de femme, n’en cherche point ; et si le conseil de ce grand apôtre, ni les exhortations des saints pères, ne peuvent pas vous dégoûter de ce grand fardeau, considérez au moins ce qu’en ont dit les philosophes ; un Théophraste, qui a prouvé par tant de raisons que le sage ne doit point se marier ; un Cicéron, qui ayant répudié Térentia répondit à Hircius qui lui offrait en mariage sa sœur, qu’il ne pouvait pas accepter cette offre, parce qu’il ne pouvait pas partager ses soins entre la philosophie et une femme. D’ailleurs, quelle convenance y a-t-il

  1. Epigr. IX, lib. VII.
  2. Ὄττι τοι ἐν Μεγάροισι κακῶν τ᾽ ἁγαθῶν τε τέτυκται. Homer., Odyss., lib. IV.
  3. Jo. Michaël Brutus, in Præceptis conjugalibus, pag. 798, edit. 1698.
  4. Jo. Michaël Brutus, in Præceptis conjugalibus, pag. 798, edit. 1698.