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EURIPIDE.

de ses enfans, puisque Carcinus [1] l’a introduite plaidant sa cause contre ceux qui l’en accusaient, et qu’Apollodore [2] dit nettement qu’elle tua les deux fils qu’elle avait de Jason. De ces deux témoins il n’y a que le premier qui puisse servir, car le premier a vécu deux cent cinquante ans après Euripide. Pour Carcinus, il a précédé ce poëte ; il eut un fils nommé Xenoclès, qui disputa le prix de la tragédie contre Euripide [3].

(EE) Il n’est pas vrai qu’il y eût dans son Palamède quelque reproche tacite touchant la mort de Socrate. ] Ce qu’il y a de plus uniforme dans les auteurs, par rapport au temps d’Euripide, est qu’il naquit la 1re. année de la 75e. olympiade, et qu’il vécut environ soixante et quinze ans. Il faut donc placer sa mort dans la 93e. olympiade, comme Suidas a fait. Or, il est certain que Socrate ne mourut que dans la 95e. olympiade : il n’est donc pas vrai qu’Euripide ait pu reprocher aux Athéniens le supplice de ce philosophe. Notez que Diodore de Sicile ayant dit qu’Apollodore mettait la mort d’Euripide en la même année que la mort de Sophocle, c’est-à-dire, à l’an 3 de la 95e. olympiade, ajoute que, selon d’autres, Euripide avait été déchiré par des chiens, dans la Macédoine, quelque temps auparavant [4]. Remarquez aussi, je vous prie, ces paroles de M. le Fèvre [5] : Je suis fort assuré qu’Aristophane fit jouer la comédie intitulée les Grenouilles en cette même olympiade 92, et qu’en cette pièce il parle d’Euripide comme d’un homme qui était déja mort. Samuel Petit [6] prétend prouver que cette pièce parut la 3e. année de la 93e. olympiade. Cela me suffit. J’ajoute que l’anonyme qui a fait la description des olympiades, marque sous la 91e. le combat d’Euripide et de Xénoclès, dans lequel combat, le Palamède fut l’une des quatre pièces produites par Euripide [7]. Joignez à cela l’autorité de Philochorus, qui avait fait un livre particulier sur la vie d’Euripide [8]. Il marqua en termes précis que le supplice de Socrate fut postérieur à la mort de ce grand poëte [9] : et néanmoins on a osé publier, et cela depuis très-long-temps, qu’Euripide fit pleurer tous les spectateurs pour avoir coulé deux vers dans son Palamède, qui désignaient la mort de Socrate. Voici le conte- Ὅθεν λοιπὸν ἐκέλευσαν μηδένα δημοσίᾳ, οἵον ἐν κοινῷ θεάτρῳ, λέγειν περὶ Σωκράτους· ἀμέλει λέγεταί τι τοιοῦτον, ὡς ὅτι Εὐριπίδου βουλομένου εἰπεῖν περὶ αὐτοῦ, καὶ δεδιότος, ἀναπλάσασθαι Παλαμήδην, ἵνα διὰ τούτου σχοίη καιρὸν τοῦ αἰ νίξασθαι εἰς τὸν Σωκράτη, καὶ εἰς τοὺς Ἀθηναίους, ἐκάνετε, ἐκάνετε τῶν Ἑλλήνων τὸν ἂριςον, ὃ ἔςίν ἐϕονεύσατε. καὶ νοῆσαν, τὸ θέατρον ἅπαν ἐδάκρυσε, διότι περὶ Σωκράτους ᾐνίττετο [10]. Undè post edixerunt, ne quis in posterum Socratis publicè, ut in communi theatro, meminisset. Narratur autem hujusmodi quiddam accidisse : Euripidem, cùm aliquid de eo dicere vellet, nec id tamen auderet, finxisse fabulam de Palamede, ut sub ejus personâ occasionem haberet obscurè ad Socratis interitum et factum Atheniensium alludendi, his verbis : « Occidistis, occidistis Græcorum optimum. » Animadvertente autem populo, hæc verba ad Socratem pertinere, ortam in toto theatro esse complorationem. Diogène Laërce [11] a rapporté en peu de mots le principal de cette fausse aventure. Plusieurs de nos plus savans modernes [12] l’ont adoptée.

Par la vraie date de la mort d’Euripide, l’on peut convaincre Cœlius Rhodiginus d’une insigne fausseté. Il dit [13] que le jeu des osselets con-

  1. Apud Aristotel. Rhetor., lib. II, cap. XXIII, pag. 447.
  2. Biblioth., lib. I.
  3. Barnes., in Vitâ Euripid., pag. 15.
  4. Diodor. Sicul., lib. XIII, cap. CIII, pag. m. 554.
  5. Vie des Poëtes grecs, pag. 85.
  6. Miscellan., lib. I, cap. XIV.
  7. Ælianus, Var. Histor., lib. II, cap. VIII, où il faut lire ἐννεκοςήν et non pas ἕκτην, et alors on trouvera la 91e. olympiade. Voyez Schefférus, in hunc locum Æliani.
  8. Suidas, in ϕιλόκορος.
  9. Apud Diogen. Laërtium, lib. II, in Socrate, num. 44.
  10. Anonymus, in Argumento Orationis Isocratis cui titulus Busiris, pag. m. 322.
  11. Lib. II, in Socrate, num. 44.
  12. Daniel Heinsius, entre autres, in dedic. Tragœd. Senecæ, apud Barnes., pag. 15.
  13. Antiq. Lection., lib. XX, cap. XXVII, pag. m. 1135. (M. Barnes, pag. 23, a relevé cette bévue, qu’il attribue, non-seulement à