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BALZAC.

sienne [1]. On y verra entre autres choses la preuve de ce que j’ai dit touchant les éloges que l’on donnait à ses lettres, avant même qu’elles fussent imprimées. Il nous conte que l’évêque de Luçon, rappelé de son exil [2], lui fit une infinité de caresses, le traita d’illustre, d’homme rare, de personne extraordinaire, et que l’ayant un jour prié à dîner, il dit à force gens de qualité qui étaient à table avec lui. Voilà un homme (cet homme m’avait alors que vingt-deux ans) à qui il faudra faire du bien quand nous le pourrons, et il faudra, commencer par une abbaye de dix mille livres de rente. N’est-il pas vrai qu’on ne saurait guère voir de plus beaux commencemens ? À Rome, on lui eût là-dessus prêté de l’argent, on eût fait des gageures sur ces avances de la fortune. Toutefois, les choses en sont demeurées là. M. le cardinal de Richelieu ne s’est pas souvenu de ce qu’avait dit M. l’évêque de Luçon. Cela me fait souvenir de cet endroit du Ménagiana : « M. de Balzac avait premièrement aspiré à être évêque. Îl se retrancha ensuite à devenir abbé ; mais il ne réussit ni dans l’un ni dans l’autre dessein. Il a même écrit dans quelqu’un de ses ouvrages, qu’il ne serait jamais abbé, à moins qu’il ne fondât l’abbaye [3]. »

(C) On publia contre lui un petit livre... dont un feuillant, nomme frère André, était l’auteur. ] C’était un Manceau, qui se réconcilia depuis avec M. de Balzac, et l’alla voir à Angoulême [4]. M. de Balzac le régala magnifiquement, lia avec lui une cordiale amitié qui a duré autant que sa vie [5]. Il lui a écrit plusieurs lettres, où il le qualifie le révérend père dom André de Saint-Denys. Voyez nommément l’une des Dissertations imprimées avec le Socrate chrétien, le premier Entretien, et parmi les Lettres latines, le poëme intitulé Iter speratum, précédé d’une lettre où Balzac raconte avec une extrême joie le changement de ce feuillant, et où il se sert de cette belle exclamation parodiée de Virgile [6],

O superi ! tanto-ne placuit concurrere motu
Æternitate posthac mentes in pace futuras ?


Une autre lettre latine, qui précède celle-là [7], nous apprend que frère André, qui, selon l’expression de Voiture, avait été l’Hélène de cette guerre, ayant ouï dire que M. de Balzac était mort, l’avait pleuré et loué. Or, puis qu’après avoir su que la nouvelle était fausse, il devint le bon ami de ce prétendu défunt, il dit voir qu’il n’était pas dans le cas de cette sentence :

Virtutem incolulem odimus......
... Sublatam ex oculis quærimus invidi [8].


Il ne faut pas oublier cette circonstance, que ce religieux, qui était alors prieur du couvent de Saint-Mémin proche d’Orléans, n’eut pas plus tôt su la maladie dangereuse de M. de Balzac, qu’il assembla tous ses moines, afin qu’ils priassent Dieu avec lui pour le malade [9]. Celui-ci, après sa guérison, donna à l’autel de leur église une cassolette de quatre cents livres, accompagnée d’un revenu annuel, pour y entretenir continuellement les parfums. Si M. Moréri avait parlé des témoignages éclatans que Balzac donna de son bon cœur, en se réconciliant avec frère André et avec le père Garasse, on ne trouverait pas destitué de jugement cet endroit de son dictionnaire. Il passa d’abord pour l’homme de France le plus éloquent. Cette réputation lui fit des envieux, et on sait assez la querelle qu’il eut vers l’an 1625 avec le père Golu général des feuillans, et avec d’autres. Tout le monde était pourtant persuadé de la franchise et de la générosité de M. de Balzac, qui mourut très-chrétiennement comme il avait vécu. Quel étrange saut de

    zac, 1656, in-40. Ces Entretiens sont au nombre de neuf, et ne se trouvent point dans l’édition des Œuvres de Balzac, in-folio, ce qui a engagé Joly à leur consacrer plus de trois pages in-folio.

  1. Entret. VIII, pag. 132, édit. in-12.
  2. Cela tombe à l’an 1618.
  3. Ménagiana, pag. 190.
  4. Saint-Romuald, Continuat, Chronici Ademari, ad annum, 1627.
  5. Voyez ses soins pour les intérêts du père André, dans les lettres XVII et XVIII du IVe. livre à Conrart, écrites en 1653.
  6. Virgile, Æneïd., lib. XII, vs. 503.
  7. Pag. 268.
  8. Horat., Od. XXIV, lib. III, vs. 31.
  9. Préface des Œuvres de Balzac, et Relation de sa mort.