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BAUDOUIN.

pela même hermaphrodite, et il semble qu’il prenne ce mot au propre, quoiqu’ailleurs il le prenne, au figuré[1]. Uxor (inquis), il s’adresse à Papyre Masson, mihi nulla est, nec unquàm fuit. Nec mirum, Massone, siquidem Balduini præceptoris tui similis es, quem omnes dicebant esse hermaphroditum[2]. Il se fait un plaisir de dire que Cujas méprisait Baudouin : Cùm omnes sciant quòd prædictus Cujacius non fecerit unquàm numerum de Balduinuo plus quàm de suis veteribus ocreis[3]. M. Ménage remarque avec étonnement que Cujas n’a jamais parlé de Baudouin[4]. Nous avons vu qu’il lui écrivit des lettres fort obligeantes[5].

(N) Il y aurait bien des réflexions à faire sur la bizarrerie de sa fortune. ] Il avait de l’esprit, du savoir, de l’éloquence, de l’adresse : il était bien fait de sa personne ; il entendait le manége de la cour. Quelques-unes des qualités que je viens de spécifier se trouvaient en lui dans un degré éminent. Il fut employé diverses fois par de grands princes à des affaires importantes : cela le mettait en passe d’un glorieux avancement ; et néanmoins il ne s’avança jamais beaucoup, et je pense qu’il ne mourut guère riche. Combien y a-t-il de gens, inférieurs en toutes choses à cet habile jurisconsulte, qui montent bien haut, qui parviennent à de grandes charges, qui s’y maintiennent, qui s’y acquièrent un beau nom, beaucoup de richesses, beaucoup d’autorité ! Ils ne brillent par aucun endroit : ils n’excellent en rien : point de qualités éminentes : on cherche vainement en eux ce qui excite l’admiration : et on le trouve bientôt en d’autres personnes, qu’on voit néanmoins demeurer toujours dans un état médiocre, quelque souvent qu’elles aient eu sous la main une occasion favorable. La plupart de ceux qui font attention à ce train des choses humaines y trouvent de quoi murmurer, de quoi se fâcher, et ils déchargent leur dépit sur ce qu’ils appellent injustice ou aveuglement de la fortune. Ils vont rarement au fait : ils ne s’avisent guère d’une autre cause qui produit cela bien plus souvent qu’ils ne pensent. Ils devraient savoir, qu’afin que des qualités éminentes portent un homme à l’élévation qu’elles semblent lui promettre, elles doivent être secondées par certaines autres qualités, ou n’être pas traversées par certains défauts : car n’étant pas secondées, ou étant traversées, elles sont une cause insuffisante ; et ainsi, selon les lois de la mécanique, il faut qu’elles manquent leur effet. Or voilà ce qui arrive à plusieurs de ceux dont les talens ont de l’éclat : il leur manque certaines choses, avec quoi ces grands talens feraient des merveilles, et sans quoi ils ne peuvent, ni les avancer, ni les soutenir. Les qualités de ces gens-là ne sont pas bien assorties ; il n’y a point entre elles le concert et la proportion qui devrait y être : au lieu donc de s’entr’aider les unes les autres, elles s’entre-nuisent. Il ne faut donc pas s’étonner si l’on ne s’élève pas, et même si l’on échoue avec un tel équipage. Pour ce qui est de certaines gens, qui parviennent à une grande fortune, et qui s’y soutiennent, sans qu’on puisse remarquer en eux rien qui ne soit médiocre, il ne s’en faut pas étonner. Il y a un tel concert, ou une telle proportion entre leurs bonnes et leurs mauvaises qualités, qu’elles se servent d’appui réciproquement ; et par-là elles forment un principe complet, et suffisant à la production de mille aventures profitables. Il en est de ceci comme des machines ; car quelque grossièrement qu’elles soient faites, elles feront mieux leur jeu, si leurs parties sont placées et proportionnées comme il faut, que la plus admirable machine ne ferait le sien, si l’on en ôtait quelques pièces, ou si l’on y en plaçait quelques-unes qui ne correspondissent pas avec les autres. « Ce n’est pas le tout que de joindre avec la science du monde celle des livres, beaucoup d’esprit, beaucoup d’éloquence, plusieurs autres dons éclatans ; si d’ailleurs vous êtes brusque, capricieux, indiscret, paresseux, timide, intéressé, sujet à de

  1. Tu es hermaphroditus in negotiis statûs, sicut fuit Balduinus in negotiis religionis. Id., ibid., pag. 281.
  2. Idem, ibid., pag. 281.
  3. Idem, ibid., pag. 269.
  4. Ménage, Remarques sur la Vie d’Ayrault, pag. 158.
  5. Ci-dessus, citation (84).