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BAUDOUIN.

quées de l’audace satirique de Baudouin, encore plus que des invectives de ceux qui le réfutèrent ; mais elles eussent voulu que la médisance eût été un caractère affecté aux ennemis de la vraie religion, et que ceux qui la justifiaient se signalassent par la sagesse et par la modération du style. Elles voulaient haïr l’esprit satirique, qui fait un mélange de diffamations et de raisons, dans lequel les injures personnelles sont la partie prédominante ; et elles ne pouvaient le haïr tort à leur aise, pendant qu’il était commun à leurs ennemis et à leurs amis. C’est pourquoi elles souhaitaient, tant à cause de cette raison, que pour quelques autres, qu’on le laissât en propre aux écrivains catholiques, et qu’on ne lui ôtât pas, en l’adoptant, cette note d’infamie dont elles voulaient qu’il fût marqué. 2o. Je dis, en second lieu, que Théodore de Bèze lâcha un peu trop la bride à son imagination, car si le livre qu’il a fait contre Baudouin était le seul qui nous restait, nous prendrions ce jurisconsulte, non-seulement pour un fripon très-infâme, mais aussi pour un auteur sans esprit, sans érudition, sans aucun mérite. Il en a donc fait une description trompeuse, puisqu’on ne saurait nier en lisant ce que Baudouin a écrit, et ce que d’autres disent de lui, que ce ne fût un très-habile homme. On peut excuser sur l’infirmité de la nature un auteur qui n’avoue pas que son ennemi soit docte, éloquent, ingénieux. Mais s’il lui est permis de taire ces vérités-là, il doit du moins s’abstenir de les nier. L’emportement qu’un auteur témoigne dans les ouvrages qu’il compose contre les ennemis de sa religion, peut quelquefois venir d’un grand zèle : c’est pour cela qu’on doit dire que la colère est équivoque entre le tempérament et la dévotion ; mais je ne vois pas comment on pourrait réduire à un principe évangélique la fierté d’un écrivain. J’appelle fierté les airs dédaigneux qu’il se donne, et l’affectation de parler de son adversaire comme du plus méprisable de tous les auteurs ; et cela, contre la notoriété publique, contre les preuves que fournissent les emplois et les écrits de cet adversaire. Je voudrais n’avoir pas trouvé dans l’histoire des églises, que Baudouin est mort misérable pédant[1]. Un tel mot ne devait jamais couler de la plume de Théodore de Bèze, professeur alors en théologie, et autrefois professeur en grec. Il fallait laisser aux cavaliers l’incivilité de nommer ainsi par mépris les personnes qui enseignent la jeunesse. Il ne fallait point qu’il déshonorât une profession qui était du même genre que la sienne. Si l’on dit qu’il établissait la pédanterie de Baudouin, non dans la charge de professeur, mais dans les défauts personnels, on ne dira rien qui vaille, puisque ce jurisconsulte ne manquait point de politesse d’esprit, et qu’il savait vivre avec les grands, et entrer dans leurs intrigues[2]. L’envie de le traiter avec mépris obligea Bèze à débiter, que lorsqu’on proposa au roi de Navarre, en 1561, de l’employer, ce prince ne savait pas qu’il y eût au monde un personnage nommé Baudouin[3]. Voilà l’une de ces choses que les auteurs avancent à tout hasard, et sur lesquelles ils ne peuvent dans la suite se justifier. Baudouin assura qu’il avait été recommandé à ce prince par la reine de Navarre[4], à laquelle il avait eu l’honneur de faire la révérence le jour des noces de la fille de cette reine avec ce prince[5]. Il assura que la faveur et la bonne volonté de cette princesse confirmèrent le choix que l’on fit de lui pour la profession en droit à Bourges. Cela est bien apparent ; car comme elle était duchesse de Berri, et qu’elle prenait à cœur l’intérêt des sciences, on ne parvenait pas aux charges de cette université sans sa participation. Comment était-il possible à Théodore de Bèze de réfuter sur cela François Baudouin ? Quelqu’un me dira peut-être que le zèle de religion porte quelquefois les théologiens à traiter de haut en bas, et comme un chétif auteur, celui qu’ils réfutent ; car ils croient qu’il est utile à la vraie église que ses sectateurs soient persuadés qu’il n’y a que des ignorans qui la combattent. Je réponds qu’un zèle qui ferait tenir

  1. Bèze, Histoire ecclésiast., liv. IV, pag. 645.
  2. Voyez ci-dessus les paroles de Burgundius, la remarque (D), citation (37).
  3. Beza, in Respons. ad Balduin., pag. 203.
  4. Balduinus, in tertiâ Responsione, folio 84.
  5. C’est-à-dire, le 20 d’octobre 1548.