Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T03.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
BAUDOUIN.

1o. que d’autres personnes avaient déjà donné des avis à Théodore de Bèze, sur le préjudice que faisait aux réformés l’emportement des écrits qui avaient paru contre Baudouin ; les personnes malintentionnées s’en prévalaient pour rendre odieuse la réformation ; 2o. qu’on le supplie très-humblement d’émousser à l’avenir la pointe trop acérée de sa plume, quand ce ne serait qu’en faveur des réformés du Pays-Bas, qui avaient à dos, à cette occasion, non-seulement les hypocrites[1], mais aussi des ennemis déclarés et violens ; 3o. qu’il était à craindre que des réponses véritables et très-justes, mais éloignées de la douceur évangélique, ne fissent ce que l’impudence des calomniateurs tâchait en vain d’obtenir : c’est que la lumière de la vérité fût étouffée, et que ceux qui la suivaient subissent une cruelle persécution ; 4o. que si Théodore de Bèze déférait à cet avis, comme on disait qu’il y était résolu, il déchargerait d’une grande haine l’église de Jésus-Christ, et laisserait aux apostats la flétrissure de l’esprit de médisance. Il répondit à Sainte-Aldegonde que s’il n’eût été question que des injures qu’on lui avait dites, il ne s’en serait non plus ému que d’entendre un chien qui eût aboyé aux Indes ; mais que, s’agissant des intérêts de la religion, il avait cru qu’il fallait traiter selon son mérite l’infâme apostat qui l’avait calomniée, et qu’il se mettait peu en peine des scrupules des gens modérés. Il faudrait, dit-il, que les impudens mensonges de ce calomniateur les touchassent autant que la vigueur de nos réponses. Chacun comprend qu’il est nécessaire que je rapporte ces paroles ; car plusieurs se pourraient imaginer que j’en pervertis le sens. Les voici donc : Superest ut ad extremam tuam epistolam paucis respondeam. Balduinum et Heshusium nonnulli vellent moderatiùs à me fuisse reprehensos. Ego verò cuperem istos æquè affici impudentissimis eorum conviciis in homines innoxios contortis, ac justis nostris defensionibus. Quid non enim in optimum illum et innocentissimum Dei servum jaculatus est fœdus ille apostata ? in me verò quid non dixit ? Et tamen Deus mihi testis est in animam meum, non multò magis me, si res mea privata ageretur, istâ petulantiâ commoveri potuisse, quàm si in his regionibus versans audivissem canes in Indiâ latrare. Sed quùm per nostrum latus viderem gallicas omnes ecclesias ab isto conductitio rabulâ confodi, et tanquam seditiosos accusari, quotcumque istorum latronum telis corpora sua non objecerunt, ut facere necesse fuit, nisi et Christi causam et regiam majestatem prodere maluissent, peccavi scilicet, quòd ejus calumniis sic respondi, ut et ipsum sycophantam suis coloribus depingerem, et causæ nostræ bonitatem probarem. Itaque quod ad illum attinet, non dissmulo me nullum peccatum agnoscere, et moderatos istos nihil morari. De Heshusio, quoniam aliud argumentum tractabam, fateor causam illam potuisse aliter agi. Sed singularis illa istius hominis et inscitia et audacia in hos veluti scopulos me adegit, ubi tamen spero me naufragium non fecisse[2].

Je ne ferai que deux réflexions sur cette réponse. 1o Je dirai premièrement qu’on ne peut nier que les lecteurs ne donnent quelque sujet de croire qu’ils se scandalisent plus de l’aigreur d’un apologiste, que de celle de l’agresseur. Qu’il y ait un écrivain qui déchire toute la terre, les morts, les vivans, les souverains, les sujets, ses confrères de religion, les adversaires de son parti ; qu’il exerce ce métier plusieurs années de suite : qu’il devienne plus fécond en médisances, et plus piquant, à mesure qu’il vieillit : on a des yeux, je l’avoue, on s’aperçoit de cela, et on le blâme ; mais si enfin cet homme est fort mal traité par ceux qu’il a provoqués, vous entendez cent fois plus de plaintes contre eux que contre lui. Ses ennemis mêmes trouvent étrange qu’on ne l’ait pas traité avec plus de ménagement. Ils auront lu avec joie ce qui a été publié à son désavantage, et ils ne laisseront pas de dire qu’il le fallait épargner. C’est un effet de l’inclination énorme que l’on a pour la censure. On se plaît à n’approuver rien. Mais ne jugeons pas ainsi des personnes modérées dont Sainte-Aldegonde rapportait les sentimens. Elles étaient sans doute cho-

  1. Je crois qu’il entend les anabaptistes.
  2. Theodor. Beza, Epist VII, pag. 208.