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BAUDOUIN.

voulu faire l’éloge d’un fameux jurisconsulte, j’ai cru qu’il fallait envelopper ce qui pouvait rendre odieuse la personne de mon héros. » Mauvaise excuse, source continuelle d’illusions et de faussetés ; mais enfin on la reçoit mieux d’un panégyriste que d’un historien. Que dirons-nous donc de M. Moréri, qui s’est contenté de ces paroles : Il avait eu la curiosité de voir Calvin et les autres chefs des protestans. On dit même qu’il avait eu du penchant à se jeter dans leur parti ; mais que la lecture d’un ouvrage de George Cassander l’en empêcha [1]. Il avait fait amitié avec Calvin : ce ne fut pas pour longtemps. Bien loin de trouver dans ces paroles l’abjuration du papisme, on y trouve clairement que Baudouin n’abjura jamais l’église romaine. Où est donc la bonne foi historique, et la netteté de récit, qui demandent que, quand tous les autres livres du monde seraient brûlés, la seule histoire d’un homme apprît clairement à tous les lecteurs s’il a dit ou s’il a fait une telle chose ? La faute que je censure est donc très-grande, s’il est vrai que François Baudouin ait changé de religion : elle paraîtra donc énorme à ceux qui savent qu’il en changea pour le moins sept fois[* 1]. Voyons le reproche qu’on lui en fit publiquement : il n’est point vague ; il est muni de circonstances. Ejectum te, Balduine, et excommunicatum ab omnibus piis, quicumque in Galliâ aut Germaniâ nomen tuum audierunt, negare non potes. Septies his viginti annis religionem mutâsti. Non sæpiùs ferè serpentes pellem mutant. Educatus es apud tuos in Flandriâ papisticè. Posteà Genevæ christianam religionem professus es : eoque nomine aliquoties ad corporis Christi communionem accessisti. Indè Lutetiam profectus papisticum habitum recepisti. Mox Genevam reversus, et in Calvini contubernio, mensâ, familiaritate, menses multos commoratus, iterùm evangelici nominis factus es. Posteà Biturigibus ad papisticam idololatriam, et tanquam canis ad vomitum, rediisti. Indè Argentoratum profectus, evangelicum te professus es : cum Petro Martyre vixisti. Cœnam dominicam in Gallorum ecclesiâ ampliùs decies participâsti. Mox Heidelbergam delatus confessioni gallicarum ecclesiarum, sub quâ paulò ante cœnam dominicam duodecies sumpseras, hostis factus es, et hessussianis te partibus dedisti. Tandem in Galliam reversus, quartùm papista factus es. Horum si quid falsum aut fictum sit, volo ut mihi oculos eruas : aut, ut calumniatorium tuum supplicium imitemur, crura mihi suffringas[2]. Ces paroles sont tirées d’une longue lettre, qui fut écrite à Baudouin l’an 1564. On lui avait déjà étalé la même supputation l’an 1562, et avec des circonstances qui sont curieuses ; car on le fit souvenir, 1o. qu’ayant demandé d’être reçu à la sainte cène dans l’église française de Strasbourg, il avait fait une longue déclaration de sa foi, en présence de l’assemblée ; 2e., que pendant qu’il séjourna à Genève, il avait fait des discours publics sur les matières de religion. Verbosissimam fidei tuæ confessionem publicè in templo non infrequenti hominum conventu magnâ at confidenti voce pronuntiâsses, ut ad sacræ cænæ et corporis Christi communionem recipereris.... in publicâ (ut vocant) congregatione consessuque pastorum et doctorum hominum tanquàm Saul inter prophetas verba de rebus sacris faceres[3]. J’ai lu cela dans une lettre dont François Hotman passe pour l’auteur. Notez qu’il se trompe dans la circonstance du temps ; car il suppose que Baudouin fit à Strasbourg sa première abjuration du papisme. Cela est faux, il n’y fit que la troisième. Les protestans lui donnèrent le surnom d’Éceholius, pour signifier qu’il changeait de religion comme de chemise ; et

  1. * L’incertitude du nom de l’accusateur paraît à Leclerc un motif de douter de l’accusation, mais « le vrai est, dit la Biographie universelle, que Baudouin qui avant très-bien étudié l’antiquité ecclésiastique, convenait qu’il y avait de grands abus à réformer dans la religion catholique. » Depuis Baudouin on est loin d’avoir rien réformé.
  1. Comparez ceci avec les paroles de M. de Thou rapportées dans l’article de (Pierre) Charpentier, un peu au-dessus de la citation (5), vous trouverez bien de l’abus.
  2. Antonius Guærinius (C’est ainsi qu’il est nommé dans Rivet, tom. III, pag. 1127, col. 1 ; mais dans l’Epitome de Gesner on le nomme Guæimens aut Cynarus : ), Epist. ad Balduinum, pag. 56, apud Ruvetum, Oper., tom. III, pag. 1127, col. 1.
  3. Epist. ad Franc. Balduinum, de Officio tum in Religione, tum in Scriptionibus retinendo.