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AURÉLIEN.

les sénateurs observassent leur conduite sous un tel maître, comme des écoliers sous la férule d’un pédagogue. Populus autem romanus eum amavit, senatus et timuit [1]. Senatus mortem ejus graviter tulit, graviùs tamen populus romanus, qui vulgò dicebat Aurelianum pædagogum esse senatorum [2].

(I) Si nous savions le détail de ses grandes actions, nous trouverions bien raisonnable la plainte de Junius Tiberianus. ] Quoi ! disait-il, un Thersite, un Sinon, et les autres monstres de l’antiquité nous sont connus, et seront connus de nos descendans, et l’on ne connaîtra pas Aurélien, prince très-illustre, empereur très-sévère, qui a restitué tout le monde au nom romain ? Fasse le ciel que cette folie n’arrive pas ! Là-dessus, il engagea Flavius Vopiscus à travailler à l’histoire de cet empereur, et lui promit tous les mémoires que la bibliothéque de Trajan pourrait fournir. Rapportons les propres paroles de cet historien : Quæsivit a me (Junius Tiberianus) quis vitam Aureliani in litteras retulisset, Cui ego quùm respondissem, neminem à me Latinorum, Græcorum aliquos lectitatos, dolorem gemitûs sui vir sanctus per hæc verba profudit : Ergo Thersitem, Sinonem, cæteraque illa prodigia vetustatis et nos benè scimus, et posteri frequentabunt : divum Aurelianun, clarissimum principem, severissimum imperatorem, per quem totus Romano nomini orbis est restitutus, posteri nescient ? Deus avertat hanc amentiam ! Et tamen, si benè novi, ephemeridas illius viri scriptas habemus, etiam bella charactere historico digesta, quæ velim accipias, et per ordinem scribas, additis quæ ad vitam pertinent. Quæ omnia ex libris linteis, in quibus ipse quotidiana sua scribi præceperat, pro tuâ sedulitate condisces. Curabo autem ut tibi ex Ulpiâ bibliothecâ et libri lintei proferantur. Tu velim Aurelianum ità ut est, quatenùs potes, in litteras mittas [3]. Notez que Vopiscus parle ainsi environ trente ans après la mort d’Aurélien ; notez, dis-je, cela comme une preuve, ou de l’ignorance, ou de la négligence des Latins de ce temps-là. Aucun d’eux n’avait encore rien publié des grandes actions de ce prince, le restaurateur de l’empire, l’Orbis restitutor, comme il est nommé dans une médaille. Il ne s’attendait pas à cette disgrâce lorsqu’il prenait soin de faire écrire de jour en jour la suite de ses exploits [4].

(K) On le regretta beaucoup, on le déifia. ] Ceux-là mêmes qui le firent mourir lui érigèrent un magnifique tombeau, et lui consacrèrent un temple [5] ; car ils découvrirent qu’on les avait engagés par une horrible imposture à conspirer contre lui. Voyons quelle fut cette imposture. Il avait fait des menaces à Mnesthée son secrétaire. Celui-ci se croyant perdu, car il savait bien que les menaces de ce prince étaient suivies de l’effet [6], résolut de le prévenir, et fit accroire à plusieurs personnes qu’Aurélien les voulait faire tuer. Il leur montra une liste où il s’était mis lui-même, et les exhorta à sauver leur vie. C’étaient toutes personnes, ou qui avaient encouru l’indignation d’Aurélien, ou qui avaient lieu de croire, par l’importance de leurs services, qu’ils étaient fort bien dans son esprit, et qui au fond n’avaient rien à craindre [7]. Tous ces gens-là firent un complot contre sa vie, et le mirent en exécution. Mais ayant connu ensuite la fraude du secrétaire, ils furent des plus ardens à honorer Aurélien. Mnesthée fut exposé aux bêtes, et l’on voulut que la mémoire de ce supplice fût conservée sur le tombeau de cet empereur [8]. Les soldats ne voulurent point conférer l’empire à aucun de ceux qui avaient eu part à sa mort, et demandèrent au sénat un nouveau prince, et la déification d’Aurélien [9]. Le sénat ne voulut point se charger du soin de créer un empereur ; mais quant aux honneurs divins que l’armée demandait pour Aurélien,

  1. Vopiscus, cap. ult.
  2. Idem, cap. XXXVII.
  3. Idem, cap. I, pag. 436.
  4. Cela paraît par les paroles de Vopiscus que je viens de rapporter.
  5. Vopiscus, cap. XXXVII.
  6. Qui sciret Aurelianum neque frustrà minari solere, neque, si minaretur, ignoscere. Vopiscus, cap. XXXVI.
  7. Mixtis is quibus Aurelianus verè irascebatur cum iis de quibus nihil asperum cogitabat. Vopiscus, cap. XXXVI.
  8. Idem, cap. XXXVII.
  9. Idem, cap. XLI.