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ARNAULD.

fausse raison. ] Les difficultés proposées à M. Steyaert font voir que l’auteur du Voyage du Monde de Descartes [* 1] n’a pas consulté exactement l’époque de la querelle de M. Arnauld et du père Mallebranche, quand il a dit que le premier s’y engagea, afin d’avoir un prétexte de ne pas répondre à deux livres qui avaient paru contre lui, l’un composé par un ministre, l’autre composé par un jésuite. Il faut avouer que le public n’est pas encore trop bien revenu de l’étonnement que lui donnèrent les premières années du silence de ce docteur à l’égard de ces deux livres ; mais il est certain, quoi qu’en dise le voyageur subtil et poli de ce nouveau Monde, que la partie était liée avec le père Mallebranche, avant que l’Esprit de M. Arnauld et les Observations du père le Tellier eussent paru [1]. Je ne dois pas dissimuler que les raisons que M. Arnauld a données de son silence ont plu à quelques personnes ; mais il s’en faut beaucoup qu’elles aient plu à tous les lecteurs. J’ai déjà rapporté un [2] passage qui concerne ces raisons [3] ; en voici un autre : « Et quant à M. Jurieu, il s’est rendu si fameux dans toute l’Europe par ses médisances et ses calomnies, qu’il n’est plus capable de faire du mal à ceux qu’il déchire. Je sais que deux diverses personnes, tous deux protestans, en ont écrit à M. Arnauld, comme d’un homme décrié parmi les siens, et dont les emportemens leur faisaient honte ; et qu’ils se sont offerts de lui envoyer des mémoires qui le feraient connaître pour tel qu’il est. Mais on ne s’étonne pas que M. Arnauld ne les ait pas pris au mot, et qu’il n’ait pas voulu perdre le temps à écrire contre un homme qui n’est fort qu’en injures et en médisances [4]. » Il produit tout incontinent quelques faits, qu’il prétend n’être que des calomnies atroces publiées par ce ministre. Les raisons, qu’il donne de son silence, par rapport au père le Tellier [5], ont satisfait peu de gens.

(Q) On lui a donné des lunettes et un valet infidèle. ] Les écrits publiés sur le commerce de lettres d’un faux Arnauld avec un professeur de Douai, contiennent des choses qui pourraient convenir à cet ouvrage ; néanmoins je ne rapporterai que la manière dont M. Arnauld réfute la plainte qu’on lui a imputée d’avoir été volé par son valet, et d’avoir de la peine à cause de son grand âge à lire le petit caractère. Comment, dit-il [6], me pourrais-je plaindre d’un valet qui m’aurait volé et trahi, moi qui n’en ai jamais eu que de très-fidèles, et qui n’en ai eu aucun depuis douze ans que je suis sorti de Paris ? Dans une note sur la lettre de M. de Ligni, il y a, que jamais M. Arnauld ne s’est servi de lunettes, et qu’il ne laisse pas de lire la plus petite lettre aussi bien que la grosse [7]. Voilà deux petites singularités, qui méritaient d’être communiquées aux curieux de l’histoire des Hommes illustres. Pour l’intrigue du faux Arnauld, c’est une des plus fines comédies qui ait été jamais jouée : le succès en a été aussi grand que les auteurs le pouvaient attendre. Il n’y a peut-être point d’exemple de mortalité, qui ait enlevé en si peu de temps plus de professeurs à une académie, que cette affaire en a enlevé à l’université de Douai ; et jamais décharge n’éclaircit si bien les rangs : c’est de quoi se souvenir de cette parole du psalmiste, et renovabis faciem terræ.

(R) Il s’est battu vigoureusement contre le père Simon, soit touchant l’inspiration des auteurs sacrés, et les versions de L’Écriture.... ] On a vu ci-dessus, dans l’article du père Adam [8], deux propositions des jésuites censurées par les facultées de théologie de Louvain et de Douai. Ce sont des propositions qui paraissent limiter ou modifier l’inspiration de l’Écriture.

  1. * Le père Daniel.
  1. Voyez les Difficultés proposées à M. Steyaert, part. VI, pag. 59, et suivantes.
  2. Ci-dessus, citation (53).
  3. Il est à la page 237 du IIIe. tome de la Morale pratique. Voyez aussi la page 361.
  4. Dissertation sur le prétendu bonheur des plaisirs des sens, pag. 12.
  5. Morale pratique, tom. III, pag. 266, 267.
  6. Première plainte, pag. 9.
  7. Imperialis rapporte que Francois Piccolomini, mort à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, ne s’était jamais servi de lunettes. Le Valesiana, pag. 3, nous apprend qu’Hadrien de Valois, à plus de quatre-vingts ans, écrivait et lisait les caractères les plus menus, sans secours de lunettes.
  8. Un peu avant la citation (9), t. Ier., p. 213.