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ARCÉSILAS.

n’y croirai pas. Où est l’homme qui ne voie qu’en ce cas-là il faut excepter des autres songes celui en particulier qui m’avertit de ne croire pas aux songes ? Voyez dans Sextus Empiricus ce que les sceptiques répondaient à cette objection. 5o. L’aveu de Lactance, par rapport à la physique, n’était guère propre à son dessein : on eût pu en tirer de l’avantage contre sa cause.

(G) Il attira à son auditoire un grand nombre de disciples. ] L’entreprise de combattre toutes les sciences, et de rejeter non-seulement le témoignage des sens, mais aussi le témoignage de la raison, est la plus hardie qu’on puisse former dans la république des lettres. Elle est semblable à celle des Alexandre et des autres conquérans qui ont voulu subjuguer toutes les nations. Elle demande beaucoup d’esprit, beaucoup d’éloquence, beaucoup de lecture, beaucoup de méditation : Si singulas disciplinas percipere magnum est, quantò majus omnes ? quod facere iis necesse est quibus propositum est veri reperiendi causa, et contra omnes philosophos pro omnibus dicere [1] ! Arcésilas était aussi propre qu’on le pouvait être à cette entreprise. La nature et l’art avaient concouru à l’armer de toutes pièces. Il était naturellement d’un génie heureux, prompt, vif [2] ; sa personne était remplie d’agrémens ; il parlait de bonne grâce. Les charmes de son visage secondaient admirablement ceux de sa voix, et il apprit sous de bons maîtres tout ce qui était le plus capable de perfectionner ses dons naturels, je veux dire d’étendre leurs forces par la réunion de plusieurs parties différentes. Vous trouverez ce détail dans Numénius ; mais vous l’y verrez tourné d’une manière odieuse. Numénius n’aimait point Arcésilas, il n’a pu pourtant s’empêcher de dire ceci : Πλὴν τοῖς ἀκούουσιν ἥρκεσεν, ὁμοῦ τῇ ἀκροάσει εὐπρόσωπον ὄντα θεωμένοις· ἦν ὄυν ἀκουόμενος καὶ ϐλεπόμενος ἥδιςος, ἐπεί τοι προσειθίσθησαν ἀποδέχεσθαι αὐτοῦ τοὺς λόγους ἰόντας ἀπὸ καλοῦ προσώπου τε καὶ ςόματος, οὐκ ἄνευ τῆς ἐν τοῖς ὄμμασι ϕιλοϕροσύνης [3]. Tenebat ille tamen auditores, dum in loquente summam oris dignitatem videbant. Fuit enim auditu simul aspectuque jucundissimus, adeòque libentissimè hominis orationem excipiebant, præstanti ex vultu et ore manantem, nec absque nativâ quâdam suavitate oculorum. Il a dit aussi qu’Arcésilas étonnait les stoïciens par ses diverses manières de réfuter ses antagonistes. Rapportons tout le passage : il est infiniment propre à nous montrer l’habileté de notre homme, et l’estime immense qu’il s’acquit : Οἱ Στοϊκοὶ δὲ ὑπήκουον ἐκπεπληγμένοι. Ἡ μοῦσα γὰρ αὐτοῖς οὐδὲ τότε ἦν ϕιλόλογος, οὐδ᾽ ἐργάτις χαρίτων, ὑϕ᾽ ὧν ὁ Ἀρκεσίλαος, τὰ μὲν περικρούων, τὰ δὲ ὑποτέμνων, ἄλλα δ᾽ ὑποσκελίζων, κατεγλωττίζετο αὐτοὺς, καὶ πιθανὸς ἦν. Τοιγαροῦν πρὸς οὓς μὲν ἀντέλεγεν, ἡττωμένων, ἐν οἷς δὲ λέγων ἦν, καταπεπληγμένων, δεδειγμένον πῶς τοῖς τότε ἀνθρώποις ὑπῆρχε, μηδὲν εἶναι μήτ᾽ οὖν ἔπος, μήτε πάθος, μήτε ἔργον ἓν βραχὺ, μηδὲ ἄχρηςον τοὐναντίον ὀϕθῆναί ποτ᾽ ἄν, εἴ τι μὴ Ἀρκεσιλάῳ δοκεῖ τῷ Πιταναίῳ [4]. Atque hæc stoïci cum stupore audiebant. Erat enim adhuc infans eorum musa, nec illarum facetiarum artifex, quibus Arcesilas Zenonis argumenta partìm explodens, pertìm succidens, partìm supplantans, sic eos linguæ vi obruebat, ut fidem etiam aliis faceret. Ità, cùm et ii quibuscum oratione pugnabat, victi atque prostrati, et ii quorum in coronâ dicebat, perculsi attonitique manerent : quasi pro comperto erat ejusdem ætatis hominibus, nec vocem, nec malum, nec opus ullum vel minimum, quicquam esse, nec inane frivolumque contra visu iri quicquam, nisi quod Arcesilæ Pitanæo tale videretur. Les remarques précédentes vous ont pu déjà fournir des autorités sur le mérite d’Arcésilas. En voici une nouvelle. Quelqu’un dit, dans Cicéron, que jamais personne n’eût suivi le sentiment de ce philosophe, si l’absurdité manifeste qui s’y trouvait n’eût disparu sous l’éloquence

  1. Cicero, de Nat. Deorum, lib. I, cap. V.
  2. Τὸν Θεόϕραςον κνιζόμενον ϕασὶν εἰπεῖν ὡς εὐϕυής καὶ εὐεπιχείρητος ἀπεληλυθὼς τῆς διατριϐῆς ἐίη νεανίσκος. Ægrè tulisse Theophrastum ajunt illius recessum ac dixisse, quàm ingeniosus promptusque adolescens è scholâ discessit ! Diogen. Laërtius, lib. IV, 246, num. 30. Voyez aussi num. 37. p. 249.
  3. Numenius, apud Eusebium. Præparat. Evangel., lib. XIV, cap. VI, pag. 730, D.
  4. Idem, ibid., pag. 733, C.