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RUE PRINCIPALE

fumiste, Rostand ridiculisé et Rodin accusé de folie ? Qu’on put l’accuser, lui dont le lapin sauté chasseur était la juste fierté, de substituer aux paisibles habitants des clapiers, des félins de gouttières et de ruelles, lui semblait être la plus vile des félonies. Il avait fallu toute l’énergique persuasion de Mathieu, de Girard et de monsieur Bernard, pour l’empêcher de sortir son revolver et d’aller « bonne mère ! transformer ce petit de Crèvecœur en écumoire ! » Il est vrai que si on l’avait laissé faire, il se serait sans doute contenté d’aller jusqu’au coin de la rue et de revenir, apaisé, prendre un dernier café-cognac avant de se mettre au lit.

Toujours est-il que les oracles politiques de Saint-Albert, qui avaient sagement attendu que chacun des candidats eut paru en public pour faire leurs pronostics, déclaraient, au lendemain de l’assemblée de Blanchard, que Gaston avait une chance magnifique de battre son adversaire.

Blanchard lui-même n’était sans doute pas loin d’être de leur avis car, dès dix heures du matin, le jour qui suivit son meeting, il franchissait le seuil du restaurant.

En le voyant entrer, Lecrevier faillit défaillir de surprise et, pour la première fois depuis l’hiver précédant sa première communion, il se sentit incapable de dire un mot. Il faut dire que cette fois-là, s’il avait eu la parole coupée, c’est un ballon ovale de rugby, reçu en plein plexus solaire, qui en avait été la cause.

— Pourriez-vous m’accorder quelques minutes d’entretien ? demanda Blanchard de son air le plus aimable.

Gaston lui montra la porte de son petit bureau, s’effaça pour le laisser passer, entra à sa suite,