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LES LORTIE

sur la tenue des deux mass meetings. Alors que les lieutenants de Gaston avaient pu fouiller à loisir dans le passé politique de Blanchard, échevin depuis vingt ans, les amis de ce dernier n’avaient pu trouver grand chose à dire contre Lecrevier, qui faisait sa première apparition sur les tréteaux politiques. Ils avaient donc eu recours à la plus haute fantaisie. Et c’est ainsi qu’un jeune avocat, Robert Crèvecœur, qui faisait de la politique par sport, comme d’autres jouent au tennis ou au croquet, avait tenu les propos que voici :

— À Saint-Albert, chers électeurs du quartier centre, dès qu’un chat est beau et gras, c’est bizarre mais il disparaît. Oui il disparaît sans laisser de traces ! Et ce qu’il y a de plus bizarre encore, c’est qu’il n’est jamais le seul. Au cours de la même nuit, dix, quinze, vingt autres félins ne rentrent pas chez eux, ne rentreront pas le lendemain, ne rentreront jamais ! Pourquoi je vous raconte cette histoire de matous ? Pas pour vous faire miauler, soyez tranquilles ! Seulement moi, qui ne me donne pas souvent la peine de faire des déductions savantes, j’en ai fait une et je vous la soumets sans commentaires. Quand des chats disparaissent, le lendemain, chez Gaston, il y a toujours du lapin au menu. Expliquez-ça comme vous voulez !

De toutes les accusations aussi fantaisistes que mensongères portées contre lui, celle de Robert Crèvecœur était la seule qui avait réussi à provoquer l’éruption du volcanique tempérament méridional du cuisinier. Ce n’était plus l’homme qu’on calomniait, c’était l’artiste ! L’homme, Gaston le savait inattaquable : mais l’artiste n’offre-t-il pas toujours un flanc découvert au dard de la critique ? Racine n’a-t-il pas été décrié, Wagner traité de