Page:Baudry - Rue Principale 1 les Lortie, 1940.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
23
LES LORTIE

noncer le « de quoi vous mêlez-vous ? » qu’elle s’apprêtait à lui lancer…

Et comme s’il avait compris, le vieux monsieur lui dit :

— Excusez-moi, mademoiselle. Vous devez certainement penser que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Et vous avez raison. Mais que voulez-vous ? c’est l’un des rares privilèges de la vieillesse que celui de pouvoir aborder une femme inconnue sans être soupçonné tout de suite d’intentions, disons équivoques. Je ne vous fais pas peur, j’espère ?

Ninette ravala les quelques larmes qui lui restaient dans la gorge.

— Mais non, monsieur, répondit-elle.

— Et puis, reprit le vieux monsieur, vous n’êtes pas tout-à-fait une inconnue pour moi, comme je ne dois plus être tout-à-fait un inconnu pour vous. Ne mangeons-nous pas, presque tous les jours, dans le même restaurant et presqu’à la même table ?

— C’est vrai.

— Naturellement, il serait plus correct que quelqu’un nous présente l’un à l’autre, mais enfin, puisque nous ne sommes que vous et moi…

Le monsieur s’inclina :

— Julien Bernard.

— Ninette Lortie.

Monsieur Bernard s’assit, croisa les mains sur le pommeau de sa canne, étendit une jambe, puis l’autre, repoussa légèrement son chapeau vers l’arrière, regarda franchement Ninette en face et demanda :

— Et ce gros chagrin, ça va mieux ?

Oh ! oui.