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les clochers ; le ruisseau, lit funèbre où s’en vont les billets doux et les orgies de la veille, charriait en bouillonnant ses mille secrets aux égouts ; la mortalité s’abattait joyeusement sur les hôpitaux, et les Chatterton et les Savage de la rue Saint-Jacques crispaient leurs doigts gelés sur leurs écritoires, — quand l’homme le plus faux, le plus égoïste, le plus sensuel, le plus gourmand, le plus spirituel de nos amis arriva devant un beau souper et une bonne table, en compagnie d’une des plus belles femmes que la nature ait formées pour le plaisir des yeux. Samuel voulut ouvrir la fenêtre pour jeter un coup d’œil de vainqueur sur la ville maudite ; puis abaissant son regard sur les diverses félicités qu’il avait à côté de lui, il se hâta d’en jouir.

En compagnie de pareilles choses, il devait être éloquent : aussi, malgré son front trop haut, ses cheveux en forêt vierge et son nez de priseur, la Fanfarlo le trouva presque bien.

Samuel et la Fanfarlo avaient exactement les mêmes idées sur la cuisine et le système d’alimentation nécessaire aux créatures d’élite. Les viandes niaises, les poissons fades étaient exclus des soupers de cette sirène. Le champagne déshonorait rarement sa table. Les bordeaux les plus célèbres et les plus parfumés cédaient le pas au bataillon lourd et serré des bourgognes, des vins d’Auvergne, d’Anjou et du Midi, et des vins étrangers, allemands, grecs, espagnols. Samuel avait coutume de dire qu’un verre de vrai vin devait ressembler à une grappe de raisin noir, et qu’il y avait dedans