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Samuel alla au théâtre et se mit à étudier la Fanfarlo sur les planches. Il la trouva légère, magnifique, vigoureuse, pleine de goût dans ses accoutrements, et jugea M. de Cosmelly bien heureux de pouvoir se ruiner pour un pareil morceau.

Il se présenta deux fois chez elle, — une maisonnette à l’escalier velouté, pleine de portières et de tapis, dans un quartier neuf et verdoyant ; mais il ne pouvait s’y introduire sous aucun prétexte raisonnable. Une déclaration d’amour était chose profondément inutile et même dangereuse. Un échec lui aurait interdit d’y retourner. Quant à s’y faire présenter, il apprit que la Fanfarlo ne recevait personne. Quelques intimes la voyaient de temps à autre. Que venait-il dire ou faire chez une danseuse magnifiquement appointée et entretenue, et adorée de son amant ? que venait-il lui apporter, lui qui n’était ni tailleur, ni couturière, ni maître de ballets, ni millionnaire ? — Il prit donc un parti simple et brutal ; il fallait que la Fanfarlo vînt à lui. À cette époque, les articles d’éloges et de critiques avaient beaucoup plus de valeur que maintenant. Les facilités du feuilleton, comme disait récemment un brave avocat dans un procès tristement célèbre, étaient bien plus grandes qu’aujourd’hui ; quelques talents ayant parfois capitulé avec les journalistes, l’insolence de cette jeunesse étourdie et aventureuse ne connut plus de bornes. Samuel entreprit donc, — lui qui ne savait pas un mot de musique, la spécialité des théâtres lyriques.