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l’homme, son amour fanatique de la nature, font la plus grande partie de son talent. Il existe une comédie espagnole où une jeune fille demande en écoutant le tapage ardent des oiseaux dans les arbres : Quelle est cette voix, et que chante-t-elle ? Et les oiseaux répètent en chœur : l’amour, l’amour ! Feuilles des arbres, vents du ciel, que dites-vous, que commandez-vous ? Et le chœur de répondre : l’amour, l’amour ! Le chœur des ruisseaux dit la même chose. La série est longue, et le refrain est toujours semblable. Cette voix mystérieuse chante d’une manière permanente le remède universel dans l’œuvre de Dupont. La beauté mélancolique de la nature a laissé dans son âme une telle empreinte, que s’il veut composer un chant funèbre sur l’abominable guerre civile, les premières images et les premiers vers qui lui viennent à l’esprit sont :


La France est pâle comme un lys,
Le front ceint de grises verveines.


Sans doute, plusieurs personnes regretteront de ne pas trouver dans ses chants politiques et guerriers tout le bruit et tout l’éclat de la guerre, tous les transports de l’enthousiasme et de la haine, les cris enragés du clairon, le sifflement du fifre pareil à la folle espérance de la jeunesse qui court à la conquête du monde, le grondement infatigable du canon, les gémissements des blessés, et tout le fracas de la victoire, si cher à une nation militaire comme la nôtre. Mais qu’on y réfléchisse bien, ce qui chez un autre serait défaut chez Dupont devient qualité. En effet, comment pourrait-il se contredire ? De temps à autre, un grand accent d’indignation s’élève de sa bouche, mais on voit qu’il pardonnera vite, au moindre signe de repentir, au premier rayon de soleil ! Une seule fois, Dupont a constaté, peut-être à son insu, l’utilité de l’esprit de destruction ; cet aveu lui a échappé, mais voyez dans quels termes :


 Le glaive brisera le glaive,
Et du combat naîtra l’amour !


En définitive, quand on relit attentivement ces chants politiques, on leur trouve une saveur particulière. Ils se tiennent bien, et ils sont unis entre eux par un lien commun, qui est l’amour de l’humanité.

Cette dernière ligne me suscite une réflexion qui éclaire d’un grand jour le succès légitime, mais étonnant, de notre poëte. Il y a des époques où les moyens d’exécution dans tous les arts sont assez nombreux, assez perfectionnés et assez peu coûteux pour que chacun puisse se les approprier en quantité à peu près égale. Il y a des temps où tous les peintres savent plus ou moins rapidement et habilement couvrir une toile ; de même les poëtes. Pourquoi le nom de celui-ci est-il dans toutes les bouches, et le nom de celui-là rampe-