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cherché la nature, mais la nature qui a violé le peintre, et que cette haute et puissante dame l’a dompté par son ascendant irrésistible.

D’après tout ce qui précède, on comprendra facilement que M. Ingres peut être considéré comme un homme doué de hautes qualités, un amateur éloquent de la beauté, mais dénué de ce tempérament énergique qui fait la fatalité du génie. Ses préoccupations dominantes sont le goût de l’antique et le respect de l’école. Il a, en somme, l’admiration assez facile, le caractère assez éclectique, comme tous les hommes qui manquent de fatalité. Aussi le voyons-nous errer d’archaïsme en archaïsme ; Titien (Pie VII tenant chapelle), les émailleurs de la Renaissance (Vénus Anadyomène), Poussin et Carrache (Vénus et Antiope), Raphaël (Saint Symphorien), les primitifs Allemands (tous les petits tableaux du genre imagier et anecdotique), les curiosités et le bariolage persan et chinois (la Petite Odalisque) ; se disputent ses préférences. L’amour et l’influence de l’antiquité se sentent partout ; mais M. Ingres me paraît souvent être à l’antiquité ce que le bon ton, dans ses caprices transitoires, est aux bonnes manières naturelles qui viennent de la dignité et de la charité de l’individu.

C’est surtout dans l’Apothéose de l’Empereur Napoléon Ier, tableau venu de l’Hôtel de ville, que M. Ingres a laissé voir son goût pour les Etrusques. Cependant les Etrusques, grands simplificateurs, n’ont pas poussé la simplification jusqu’à ne pas atteler les chevaux aux