Page:Baudelaire - Œuvres posthumes 1908.djvu/358

Cette page n’a pas encore été corrigée


Vous tous qui nourrissez quelque vautour insatiable, — vous poètes hoffmaniques que l’harmonica fait danser dans les régions du cristal, et que le violon déchire comme une lame qui cherche le cœur, — contemplateurs âpres et goulus à qui le spectacle de la nature elle-même donne des extases dangereuses, — que l’amour vous soit un calmant.

Poètes tranquilles, — poètes objectifs, — nobles partisans de la méthode, — architectes du style, — politiques qui avez une tâche journalière à accomplir, — que l’amour vous soit un excitant, un breuvage fortifiant et tonique, et la gymnastique du plaisir un perpétuel encouragement vers l’action !

À ceux-ci les potions assoupissantes, à ceux-là les alcools.

Vous pour qui la nature est cruelle et le temps précieux, que l’amour vous soit un cordial animique et brûlant.

Il faut donc choisir ses amours.

Sans nier les coups de foudre, ce qui est impossible, — voyez Stendhal, De l’amour, livre I, chapitre XXIII, — il faut croire que la fatalité jouit d’une certaine élasticité qui s’appelle liberté humaine.

De même que pour les théologiens la liberté consiste à fuir les occasions de tentations plutôt qu’à y résister, de même, en amour, la liberté consiste à éviter les catégories de femmes dangereuses, c’est-à-dire dangereuses pour vous.

Votre maîtresse, la femme de votre ciel, vous sera suffisamment indiquée par vos sympathies