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Pourquoi faites-vous cette figure piteuse, grand Dieu ! Tenez, voulez-vous me passer les ciseaux qui sont sur la table ? Merci !

PIERRE.

Je ne mérite pas tant de mépris. Au fond, j’ai ma valeur.

GINETTE.

Mais je vous respecte énormément ; je sais que vos travaux d’architecte sont remarquables et j’apprends toujours à vous écouter.

PIERRE.

Je vaux mieux que tout cela. La province m’a un peu étouffé, la vie de famille aussi ; au fond personne ne me connaît. J’ai été un solitaire. Si j’avais pu vous parler à cœur ouvert, vous m’auriez jugé, mais voilà… c’est de ma faute. Tout de suite, j’ai été assez bête, assez naïf, comme un vieux collégien, pour faire la gaffe et pour qu’il me soit interdit à tout jamais de reprendre cette conversation interrompue. Je vous aurais mieux éclairée sur moi-même, sur mes sentiments ! Vous m’avez ordonné de me taire, je me suis tu.

GINETTE, (énergiquement.)

Il ne pouvait pas en être autrement.

PIERRE.

En effet. Seulement je me suis tu trop vite !

GINETTE.

Non ! Parce qu’à coup sûr, le lendemain si vous aviez persisté, j’aurais bouclé mon imperceptible valise. Je n’aurais pas trahi l’hospitalité.

PIERRE, (hausse les épaules.)

Oui, oui !… Mais tout de même ce sont de bien grands mots, et vous l’avez trahie tout de même !