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1621. décembre.

la deffaite du Pont de Sey, apres avoir abattu un grand party quy s’estoit eslevé contre vous, il estoit en vostre pouvoir d’employer, tant les forces ennemies que les armées que vous aviés mises sur pié pour leur resister, quy consistoint ensemble a plus de cent mille hommes, pour ruiner les huguenots surpris, mal preparés, despourveus de forces, et desnués de secours. Il ne vous manquoit pas allors de justes et specieux pretextes pour l’entreprendre, ny d’habiles et sensés personnages a vous le persuader ; joint que le profit et utilité quy vous en revenoit d’exterminer un tel party et de donner la paix et le repos a vostre estat (que soissante années durant, cette faction luy avoit osté ou traversé), estoint assés capables d’esmouvoir et faire incliner une ame moins genereuse et bien née que la vostre, a faire ce manquement cy, quy fut neammoins rejetté par Vostre Majesté, pour ne violer la foy publique quy leur avoit esté donnée de vostre part et pour ne contrevenir a vostre royale parole. Est-il possible, Sire, que cette foy et parole que vous avés voulu saintement garder au prejudice mesme de vostre religion, au desavantage de vostre estat et au dommage de vostre propre et particulier interest, vous la veulliés maintenant mettre a l’abandon pour la conqueste (pour ne dire la volerie et le larcin) d’une simple bicoque, et mettre pour un sy vil prix une sy grande tache a vostre honneur et reputation ? La ville de Castillon quy demeure en paix au milieu de la guerre, quy subsiste dans son devoir au millieu de la deffection de ceux de sa religion, et quy vit en une entiere asseurance parmy ses voysins sous la protection que Vostre Majesté a donnée aux terres de