Page:Bassompierre - Journal de ma vie, 2.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
387
1621. novembre.

soit le roy jusques au plus profond de son ame ; qu’il sçavoit les moyens par lesquels il le falloit conserver, aussy bien qu’il avoit sceu ceux de l’acquerir, et qu’il luy donnoit quelquefois expres des petits sujets de plainte quy ne servoint qu’a augmenter l’ardeur de l’affection qu’il avoit pour luy. Je vis bien lors qu’il estoit de la mesme trempe de tous les autres favoris qui croyent avoir cloué[1] leur fortune, quy la croyent eternelle, et quy ne connoissent leur disgrace que lors qu’ils n’ont plus le moyen de l’empescher.

Depuis ce temps là, toutes les fois que le roy me pouvoit parler en particulier, c’estoit incessamment en plaintes de monsieur le connestable, et ce quy m’en fit plus mal juger fut que tout d’un coup l’extreme passion qu’il avoit pour madame la connestable se convertit en une telle haine qu’il avertit monsieur son mary que Mr le duc de Chevreuse en estoit amoureux : il me dit qu’il luy avoit fait cette harangue, dont je luy dis qu’il avoit tres mal fait et que c’estoit pecher de mettre mauvais menage entre le mary et la femme. Il me dit : « Dieu me le pardonnera, s’il luy plait ; mais j’ay eu un grand plaisir de me venger d’elle[2], et de faire ce desplaisir a luy. » [Il me dit en suitte plusieurs choses contre luy][3], et entre

  1. Il y avait : élevé.
  2. Si la duchesse de Luynes avait personnellement encouru le ressentiment de Louis XIII, ce n’était pas pour avoir repoussé des avances qu’il n’aurait pas eu, dit Tallemant des Réaux « l’esprit » de lui faire ; c’eût été plutôt pour avoir fait remarquer à la reine la froideur du roi à son égard.
  3. Inédit.