Page:Bassompierre - Journal de ma vie, 2.djvu/384

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
380
journal de ma vie.

avesques forces gens, lesquels je quittay et ne laissay avesques moy que les aydes de sergent major de Champaigne et de Navarre. Il y avoit quelque six vingts pas a passer a descouvert, [que l’on pouvoit esviter][1] en s’eslongnant quelque peu, ce que je ne faisois jamais. Ils tirerent d’abbord leur piece de campaigne sur ma compagnie quy estoit assés loin, ce quy me convia de les prier[2] d’aller par le couvert, tandis que je m’en allay avec ces deux aydes de major passer plus proche de leur contrescarpe. Allors ils me firent leur salve de telle furie que je ne voyois que balles siffler a lentour de moy, dont deux porterent, l’une dans le pommeau de la selle de mon bidet, l’autre me perça mon manteau. Je fis escarter les aydes de major a quy il ne le fallut pas dire deux fois, et je descendis de mon bidet pour me mettre a l’abry d’un gros arbre quy estoit proche, auquel ils tirerent plus de cent mousquetades ; mais j’estois en seureté derriere. En fin comme je creus qu’ils n’auroint plus a tirer, j’en sortis et allay assés viste gaigner la tranchée de Normandie : mais ce ne fut pas sans l’eschapper belle ; car ils me tirerent encores plus de cent mousquetades de soissante pas pres. Mais comme mon heure n’estoit pas encores venue, Dieu m’en preserva contre l’attente et l’opinion de ma trouppe eslongnée quy me voyoit passer par les armes : je n’ay jamais mieux creu mourir que cette fois là.

Les ennemis avoint deux barques armées avesques

  1. Inédit.
  2. De prier ma compagnie.