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journal de ma vie.

de battaille, ou estoint leurs enseignes, vint descendre dans les Suisses et moy, et creus d’abbord que c’estoit le regiment d’Estissac quy venoit au bruit de l’attaque des ennemis a nostre barricade, et d’autant plus qu’ils crioint : Vive le roy ! Mais un soldat des ennemis, par mesgarde ou pour y estre accoutumé, dit : Vive Rohan ! Allors je criay aux Suisses que c’estoint les ennemis, quy ne se le firent pas dire deux fois, et menerent bien les mains. J’avois une hallebarde en main, de laquelle je voulus donner dans le corps d’un des premiers quy descendit dans le chemin ; mais la nuit me fit faillir ma mesure, et tombay devant luy, quy fut en mesme temps tué sur moy et trois ou quattre autres en suitte, et je craignis bien plus d’estre tué des Suisses en me relevant, que des ennemis : en fin un des miens nommé le Manny, et le sieur des Estans, me tirerent de dessous ces morts, et lors je m’employay comme les autres. De tout ce battaillon il ne se sauva pas quattre hommes quy ne fussent tués ou pris, et tués par de sy grands coups que le lendemain on s’en esmerveilloit.

Il y avoit en tout le secours onse enseignes de gens de pié. Un des capitaines quy estoint dans l’esquadron en fit prendre cinq drapeaux par un homme fort et dispost et fit une rude charge pendant qu’a costé de luy cet homme passa avesques les drapeaux. Ce capitaine fut incontinent tué, et ceux quy estoint avesques luy a la charge : il respiroit encores apres le combat, et comme je disois que ceux là avoint chargé rudement et que l’un d’eux avoit donné un coup de pistollet dans le bras du colonel Hessy, il sousleva sa teste et dit : « C’est moy, Monsieur, quy luy ay donné et quy