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journal de ma vie.

Il me fit une autre grace de me faire donner une bulle par le patriarche des Indes (quy est comme un legat a la court), pour manger de la chair en caresme, moy et cent autres avesques moy. Et de plus, ce quy ne s’estoit jammais veu en Espaigne, pour me divertir, il permit que l’on jouat cheux moy des comedies, mesmes les deffraya : ce quy fit que les seigneurs et dames, quy en tout temps sont passionnés pour la comedie, le furent d’autant plus que c’estoit en un temps inusité, et que les deux bandes des comediens du roy s’estoint jointes ensemble pour rendre la comedie plus complette. Aussy leur donnois je, outre les trois cens reaux que le roy leur payoit de chasque comedie, mille reaux extreordinairement ; et je faisois apporter durant la comedie quantité de confitures et d’aloxa[1] aux dames quy y venoint, quy estoint de deux sortes : celles quy s’y faisoint prier par la comtesse de Baraxas, lesquelles se tenoint sur le haut dais et avoint le visage descouvert ; les autres sur les marches du haut dais et dans la salle, mais tapades[2] et couvertes de leur mante. Les hommes aussy y venoint, les uns couverts[3], les autres ouvertement : tous les ambassadeurs s’y faisoint prier par moy d’y venir.

Ce jour dimanche 14me la premiere comedie se joua dans une grande galerie de mon logis, fort ornée et illuminée, et s’y trouva tres grande quantité de dames et de seigneurs ; apres laquelle je donnay a souper en

  1. Aloja, boisson composée d’eau, de miel et d’épices.
  2. Cachées sous le voile ou la mantille.
  3. Il y avait : les uns comme les autres ouvertement.