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journal de ma vie.

sadeurs. Ce logis luy fut donc assinné ; mais comme il y voulut loger, le maitre de la maison montra une exemption qu’il avoit du roy et franchise pour son logis, et l’ambassadeur s’opiniatrant de l’avoir, le maitre de la maison porta ses privileges au conseil real[1] quy ordonna qu’ils luy seroint conservés : sur quoy monsieur l’ambassadeur quy avoit envie d’avoir ce beau logis, envoya deux vallets y porter quelques hardes, et en suitte dit que puisque ses meubles avoint entré dans le logis, que l’on ne l’en pouvoit desloger, et envoya en suitte tous ses gens et une partie de ceux de l’ambassadeur de Venise pour tenir bon dans cette mayson. Le maitre de la maison s’alla plaindre au conseil real, quy ordonna que l’on fit sortir les hardes et les vallets de l’ambassadeur de ce logis et que l’on y envoyat les alguasils[2] : et parce que l’on ne se fut jammais douté que l’ambassadeur deut faire rebellion a justice (ce quy est inouy en ce païs là), deux alguasils y furent seulement envoyés ; mais ils y furent tués, et leurs vares (quy sont des baguettes blanches, marques de leur pouvoir), furent par derision pendues aux balcons du logis. Sur cela le peuple accourt en armes et plus de deux mille personnes investirent le logis et l’ambassadeur quy y estoit entré par une porte de derriere. Par fortune un alcalde de corte (quy est comme le grand provost en France), nommé don Sebastian de Caravaxal[3], honneste homme et quy n’allumoit pas le feu, y arriva, fit retirer le

  1. Le conseil royal, ou de Castille.
  2. Alguazils, sergents ou bas officiers de justice, chargés de l’exécution des arrêts.
  3. Carvajal.