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journal de ma vie

« Il n’est plus temps, l’affaire est descouverte : j’ay soubçonné a tort ce pauvre homme ; dont je m’en repens. » Je dis a la reine : « Madame, sy j’osois, je vous demanderois l’explication de cette enigme. » Elle me dit : « Je vous la diray : il y a quelque temps que Gueffier[1], nostre agent en Piemont, nous a mandé que l’on donnoit des avis de par dela[2] contre le service du roy, et mesmes a envoyé la suscription d’un des paquets que journellement l’on en envoyoit de deça. Nous ne savions quy soubçonner, et parce que Porcheres a esté longtemps en Savoye, je l’en accusois ; mais aujourdhuy nous avons descouvert toute l’affaire, ayant pris sur le fait celuy quy les escrit, comme il jettoit son paquet dans la caisse de la poste : c’est un certain bossu, blond, que vous avés souvent veu suyvre la court, Dauphinois, nommé Maignat[3]. » Je luy dis que je le connoissois, et que je l’avois souvent veu en l’antichambre de Mr le marquis d’Ancres. Elle me dit lors : « Aussy y avoit il affaire, et on en verra bientost davantage. »

Je n’y pensay pas plus avant, et m’en allay, selon mon ordinaire, souper cheux Zammet : et comme

  1. Gueffier, alors résident de France à Turin, fut en 1617 ambassadeur auprès des Grisons, et en 1632 ambassadeur à Rome.
  2. C’est-à-dire de France : Gueffier écrivait de Piémont.
  3. Le duc de Savoie avait récemment envahi le Montferrat qui faisait partie des états des ducs de Mantoue. Pour s’assurer la neutralité de la France, il avait noué de secrètes intrigues autour de la reine. Maignat, que Malherbe appelle Magnac (Œuvres, t. III, p. 308), et le marquis de Cœuvres, Magnas (Mémoires de la régence), était un agent qui correspondait avec le baron de la Roche, autre Dauphinois, établi à Turin.