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journal de ma vie

vie la matiere de son œuvre ; car elle n’a pas esté assés illustre pour meriter d’estre donnée à la posterité, et pour servir d’exemple a ceux quy nous survivront, mais seulement pour remarquer le temps de mes accidents et juger quelles années m’ont esté sinistres ou heureuses, et affin aussy que sy Dieu me fait la grace de parvenir jusques a cette vieillesse quy affoiblit les facultés de l’ame et de l’esprit, et particulierement celles de la memoire, je trouve dans ces journaux de ma vie ce que j’auray perdu dans mon souvenir, lesquels estant necessaire de remplir pour la plus part de choses basses, ridicules, ou inutiles aux autres, ne seront jamais reveues que de moy, quand j’y voudray chercher quelqu’une de mes actions passées, ou de vous qui estes un second moy mesme[1], et pour quy je n’ay rien de secret ou caché, quand vous voudrés apprendre ou connestre quelque chose de mon extraction, de mes ancestres, des biens qu’eux et moy ont possedés, de ma personne et de ma vie.

Entre les bonnes maisons de l’empire en Allemai-

  1. Quel est cet ami, ce second moy-mesme, par le conseil duquel le maréchal de Bassompierre a rédigé ses mémoires ? La préface de l’édition de 1666 nomme, sans hésiter, le comte de Carmain ou de Cramail. Cependant ce personnage ne figure pas dans les mémoires de Bassompierre comme son intime ami ; et de son côté, comme nous l’avons vu dans la Notice, il ne faisait point part de toutes ses pensées au maréchal, dont il était devenu, en 1635, le compagnon de captivité. Cette désignation si pleine d’affection et de confiance ne conviendrait-elle pas mieux au maréchal de Créquy, duquel Bassompierre dit dans son journal que, depuis leur connaissance, il avait toujours vécu avec lui comme frère ? Créquy ne fut tué qu’en 1638, c’est-à-dire quelques années après que Bassompierre eut commencé à écrire ses mémoires.