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1610. mai.

viens des Feuillans, ou j’ay veu la chapelle que Bassompierre y fait faire, quy y a fait mettre sur la porte : Quid retribuam Domino pro omnibus que retribuit mihi ? Et moy j’ay dit que pour luy, quy estoit allemand, il y falloit ajouster : Calicem salutaris accipiam. » Mr de Guyse s’en mit a rire bien fort, et luy dit : « Vous estes, a mon gré, un des plus agreables hommes du monde, et nostre destinée portoit que nous fussions l’un a l’autre ; car sy vous n’eussiés esté qu’un homme mediocre, je vous eusse eu a mon service, a quelque prix que c’eust esté ; mais puisque Dieu vous a fait naitre un grand roy, il ne pouvoit pas estre autrement que je ne fusse a vous. » Le roy l’embrassa et luy dit, et a moy aussy : « Vous ne me connoissés pas maintenant, vous autres : mais je mourray un de ces jours, et quand vous m’aurés perdu, vous connestrés lors ce que je valois, et la difference qu’il y a de moy aux autres hommes. » Je luy dis lors : « Mon Dieu, Sire, ne cesserés vous jammais de nous troubler en nous disant que vous mourrés bientost ? Ces paroles ne sont point bonnes a dire ; vous vivrés, Dieu aydant, quantité de longues et heureuses années. Il n’y a point de felicité au monde pareille a la vostre : vous n’estes qu’en la fleur de votre eage, en une parfaite santé et force de corps, plein d’honneur plus qu’aucun des mortels, jouissant en toute tranquillité du plus fleurissant royaume du monde, aymé et adoré de vos sujets, plein de biens, d’argent ; de belles maisons, belle femme, belles maitresses, beaux enfans quy deviennent grands. Que vous faut il plus, ou qu’avés vous a desirer davantage ? » Il se mit lors a souspirer, et me dit : « Mon amy, il faut quitter tout cela. » « Et ce