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1609. décembre.

feignit d’avoir la goutte pour pretexte de sejourner ; et, commençant a se guerir, le roy sachant qu’il estoit joueur, luy commanda de venir jouer avesques luy, et affin qu’il peut estre plus pres pour revenir le soir, le roy m’ordonna de luy donner tous les soirs a soupper, et peu auparavant que l’on nous servit a manger, ce secretaire venoit cheux moy en cachette luy dire ce qu’il avoit traitté avec Mr de Villeroy en cette journée, et s’il y avoit quelque difficulté, il en parloit le soir au roy avant le jeu. Le roy me fit cette grace de me dire cette affaire, apres une aspre deffense de la cacher aux yeux et a la connoissance de tout le monde ; ce qu’il fit peut-estre forcé de s’y confier, de peur que, l’apercevant, je ne la descouvrisse, puis que les rendés vous se faisoint en mon logis.

Il fit plusieurs grandes propositions au roy, ausquelles le roy ayant respondu qu’il n’y avoit aucune apparence qu’il se peut fier en luy, veu que son principal ministre, a quy il avoit donné sa sœur naturelle en mariage, Mr d’Albigny, estoit entierement espagnol. Il manda lors au roy que, dans peu de jours, il luy leveroit de ce costé là toute sorte d’ombrage ; comme il fit : car huit jours apres nous ouïmes dire la prison, et en suitte la mort du dit Albigny.

Le roy, voyant que le duc ne se jouoit pas, mais faisoit a bon escient ; animé par les vives persuasions de Mr de Suilly, et de Mr des Diguieres, a quy le duc s’estoit premierement addressé, et quy avoit proposé au roy cette conjonction de Mr de Savoye a luy ; voyant aussy les avantages que Sa dite Majesté en pouvoit retirer, et les amples offres que Mr de Savoye luy faisoit ; fomenté par la republique de Venise, quy offroit