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journal de ma vie

changement sera facheux, mais la condition n’en sera point empirée. La Bretaigne, pour estre incorporée a la France, n’en a pas esté de plus malheureuse condition : ses privileges et immunités luy ont esté conservées, et les personnes et biens des Bretons plus puissamment contregardés par un roy de France qu’ils n’eussent esté par un duc de Bretaigne : la condition de chasque corps de la Bretaigne s’est accreue et ameliorée par cette reunion ; car l’ordre ecclesiastique a esté capable de posseder les amples benefices consistoriaux de la France ; la noblesse s’y est enrichie et agrandie, parce qu’il se fait bien de plus hautes fortunes en des grands royaumes qu’en des petites provinces ; et le tiers estat est parvenu aux grandes et lucratives charges de judicature et des finances de France. Et puis, cette incorporation de la Lorraine a la France n’est pas effective : car sy madame vostre fille n’a point d’enfans, il n’y a rien de fait ; sy ses enfans ne sont masles, les filles seront duchesses de Lorraine, comme celle-cy le doit estre apres vostre mort ; sy elle a plusieurs masles, le second, ou le troisieme, ainsy qu’il sera stipulé, sera duc de Lorraine, et s’il n’y en a qu’un, peut estre que les Lorrains mesmes, quy auront desja par plusieurs années esprouvé la douce domination des rois de France, demanderont eux mesmes cette reunion comme ont fait les Bretons, non qu’ils n’eussent esté plus ayses d’avoir un prince particulier, mais de peur de tomber sous la puissance d’un duc de Savoye, d’un roi d’Espaigne, ou de Vostre Altesse mesme, qu’ils n’affectionnoint pas tant que la France, et quy ne les eussent pas sy bien sceu gouverner et proteger que les rois de France. »