Page:Bassompierre - Journal de ma vie, 1.djvu/252

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
216
journal de ma vie.

nouveller le duché d’Aumale en vostre personne. » Je luy dis s’il me vouloit donner deux femmes ? Lors il me respondit, apres un grand souspir :

« Bassompierre, je te veux parler en amy. Je suis devenu non seulement amoureux, mais furieux et oultré de Mlle de Montmorency. Sy tu l’espouses, et qu’elle t’ayme, je te haïray ; sy elle m’aymoit, tu me hairois. Il vaut mieux que cela ne soit point cause de rompre nostre bonne intelligence ; car je t’ayme d’inclination et d’affection. Je suis resolu de la marier a mon neveu le prince de Condé, et de la tenir pres de ma femme. Ce sera la consolation et l’entretien de la vieillesse ou je vas desormais entrer. Je donneray a mon neveu, quy est jeune, et ayme mieux la chasse que les dames, cent mille francs par an pour passer son temps, et je ne veux autre grace d’elle que son affection, sans rien pretendre davantage. »

Comme il me disoit cela, je considerois que, quand je luy respondrois que je ne voulois pas quitter ma poursuitte, ce seroit une impertinence inutile, parce qu’il estoit tout puissant ; je m’avisay de luy ceder de bonne grace, et luy dis :

« Sire, j’ay toujours ardemment desiré une chose quy m’est arrivée lors que moins je l’attendois ; quy

    Charles de Lorraine-Guise, duc d’Aumale, et de Marie de Lorraine-Elbeuf ; mariée en 1618 à Henri de Savoie, duc de Nemours, morte en 1638.
    La faveur que le roi offrait à Bassompierre consistait proprement, non dans le rétablissement du duché d’Aumale, dont le titre demeurait de droit à Mlle d’Aumale, mais dans l’adjonction nouvelle de la pairie à ce duché, l’ancienne pairie devant s’éteindre par le défaut d’hoirs mâles.