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1609. février.

comme sa fille, qu’elle demeureroit au Louvre l’année de mon exercice de premier gentilhomme de sa chambre, et qu’il vouloit qu’elle luy dit franchement sy ce party luy aggreoit, parce que, s’il ne luy estoit aggreable, il sçauroit bien rompre ce mariage, et la marier mesmes a Mr le Prince son neveu (sy elle vouloit). Elle luy respondit que, puis que c’estoit la volonté de son pere, elle s’estimeroit bien heureuse avesques moy. Il m’a dit, depuis, que cette parole luy fit resoudre de rompre mon mariage, craignant qu’elle ne m’aymat trop, a son gré, sy je l’espousois.

Il fut veillé cette nuit la par Mr de Gramont, et ne dormit gueres ; car l’amour, et la goutte, tiennent ceux qu’ils attaquent fort resveillés.

Il m’envoya chercher le lendemain dès huit heures du matin par un garçon de la chambre ; et comme je le fus venu trouver, il me dit pourquoy je ne l’avois pas veillé la nuit precedente ? Je luy respondis que c’estoit la nuit de Mr de Gramont, et que la prochaine estoit la mienne. Il me dit qu’il n’avoit jamais sceu fermer l’œil, et qu’il avoit souvent pensé à moy ; puis me fit mettre sur un carreau a genoux devant son lit (comme c’estoit la coustume de ceux quy l’entretenoint au lit). Il continua de me dire qu’il avoit pensé a moy et de me marier. Moy, quy ne pensois rien moins qu’a ce qu’il me vouloit dire, luy respondis que, sans la goutte de monsieur le connestable, c’en seroit desja fait. « Non, ce dit il, je pensois de vous marier avec Mlle d’Aumale[1], et, moyennant ce mariage, re-

  1. Anne de Lorraine, duchesse d’Aumale, fille et héritière de