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1606. juin.

train, j’attendis le dimanche pour voir cette jeune femme. Je vins a dix heures, et trouvay la porte qu’elle m’avoit marquée, et de la lumiere bien grande, non seulement au second estage, mais au troisieme et au premier encores ; mais la porte estoit fermée. Je frappay pour avertir de ma venue ; mais j’ouis une voix d’homme quy me demanda quy j’estois. Je m’en retourna a la rue aux Ours, et estant revenu pour la seconde fois, ayant trouvé la porte ouverte, j’entray jusques a ce second estage, ou je trouvay que cette lumiere estoit la paille des lits, que l’on y brusloit, et deux corps nuds estendus sur la table de la chambre. Allors je me retiray bien estonné, et en sortant, je rencontray des corbeaux[1] quy me demanderent ce que je cherchois ; et moy, pour les faire escarter, mis l’espée a la main, et passay outre. M’en revenant a mon logis, un peu esmeu de ce spectacle inopiné, je beus trois ou quattre verres de vin pur, quy est un remede d’Allemaigne contre la peste presente, et m’endormis pour m’en aller en Lorraine le lendemain matin, comme je fis ; et quelque diligence que j’aye sceu faire depuis pour apprendre ce qu’estoit devenue cette femme, je n’en ay jammais sceu rien sçavoir. J’ay esté mesmes aux deux Anges, ou elle logeoit, m’enquerir quy elle estoit ; mais les locataires de ce logis la ne m’ont dit autre chose, sinon qu’ils ne savoint point quy estoit l’ancien locataire. Je vous ay voulu dire cette aventure, bien qu’elle soit de personne

  1. Hommes qui enlevaient les pestiférés. Pendant plusieurs mois de l’année, il régna à Paris une maladie contagieuse.