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journal de ma vie

vallet avoit plié, et laissé la croix a descouvert, quy devoit avoir esté cent fois aperceue de Mr de Guyse, s’il n’eut esté troublé allors : je m’en allay asseoir dessus, de peur qu’il ne s’aperceut de cette croix ; et, faisant l’affligé comme luy, et disant mille choses contre la legereté d’Antragues, je ne me voulus lever de dessus ce manteau, quoy que Mr de Guyse me priat de me promener avesques luy, jusques a ce que j’eus dit a mon vallet que, comme Mr de Guyse se tourneroit, il emportat ce manteau a une garde-robe, et le cachat, de peur qu’apercevant cette croix, mon amour et ma bonne fortune de la nuit passée ne fut aussy aperceue.

Je manday leur mesprise a Antragues, quy, par meschanceté, fit fort bonne chere, l’apres disnée, a Mr le Grand, affin que Mr de Guyse et le roy se confirmassent en cette creance, pour leur faire perdre soubçon de moy. Et quand, le lendemain, Mr de Guyse, (quy ne s’en peut taire, bien que luy et moy fussions demeurés d’accord que nous ne luy en dirions rien), eut fait la guerre à Mr le Grand de sa nouvelle amour, Mr le Grand ne luy en osta pas la creance par sa reponse ambigue, et le dit à Antragues, quy luy dit : « Puis que Mr de Guyse a cette opinion, faisons semblant qu’il y a de la finesse entre nous. » De sorte que toute la jalousie du roy et de Mr de Guyse tomba sur Mr le Grand, lequel ils haïssoint comme peste. Mais, pour nostre malheur, ils en avertirent la mere, laquelle, y prenant garde de plus pres, un matin, voulant cracher, et levant le rideau de son lit, elle vit celuy de sa fille descouvert, et qu’elle n’y estoit pas (juin). Elle se leva tout doucement, et vint dans sa garde-robe, ou elle trouva la porte de cet escalier derobé, qu’elle