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JOURNAL

minutes ensemble sans nous exaspérer jusqu’aux larmes. Bref, nous sommes bien tourmentées ensemble, nous serions tristes séparées.

Je veux tout me refuser pour le dessin. Il faut m’en souvenir, c’est là la vie.

Par là, je me ferai une indépendance et alors ce qui devra venir viendra.


Vendredi 15 février. — Je n’irai pas à l’Opéra demain. Je dessine comme d’habitude, ce qui ne m’empêche pas d’être très mécontente de moi. Je l’ai dit à Robert-Fleury il y a quelque temps et, samedi, comme il corrigeait nos académies :

— C'est vous qui avez fait cela ?

— Oui, Monsieur.

— Vous n’avez pas dessiné d’ensemble avant de venir ici ?

— Mais non.

— Je crois que vous vous plaignez ?

— Oui, monsieur.

— D’aller trop lentement ?

— Oh ! oui, Monsieur.

— Eh bien, moi, à votre place, je serais très content.

C’était dit avec une gaieté très bienveillante et valait bien des compliments.

Oui ! mais quand pourrai-je… peindre des portraits ?… Dans un an… je l’espère du moins.


Dimanche 24 février. — J’irai… à l’atelier et je prouverai qu’on arrive, quand on le veut bien et qu’on est désespérée, meurtrie et furieuse comme moi.

Ah ! la route est longue ! on s’impatiente, c’est naturel ; oui je m’impatiente, mais… à vingt ans je ne serai pas trop vieille pour commencer à me montrer,