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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Maintenant il y a des créatures qui boivent, mangent, rient et ne font pas autre chose ; chez celles-là le fluide est ou bien absorbé par les instincts animaux, ou bien éparpillé sur tous les objets et sur tous les hommes en général, sans distinction, et ce sont là les personnes qu’on nomme bienveillantes et qui en général ne savent pas aimer.

Il y a aussi des créatures qui n’aiment personne, comme on dit vulgairement. C’est inexact, elles aiment toujours quelqu’un, mais d’une façon différente des autres, qui leur est particulière. Mais il y a encore des malheureux qui véritablement n’aiment pas, parce qu’ils ont aimé, et qu’ils n’aiment plus. Encore une erreur ! ils n’aiment plus, dit-on, bien… Pourquoi souffrent-ils alors ? Parce qu’ils aiment toujours et pensent ne plus aimer. Ou à cause d’un amour contrarié ou de la perte d’une personne chère.

Chez moi, plus que chez tout autre, le fluide s’est fait sentir et se montre sans cesse ; si je le renfermais en moi-même, il me ferait éclater.

Je le répands comme une pluie bienfaisante sur un indigne géranium rouge qui ne s’en doute même pas. C’est une de mes fantaisies. Il me plaît, et j’imagine un tas de choses, et je m’habitue à penser à lui et une fois habituée, je me déshabitue difficilement.

Je suis triste ! je crains de craindre… Car lorsque je crains une vilenie, elle arrive toujours. Je n’ose pas prier Dieu, car je n’ai qu’à prier, pour que ce que je demande n’arrive pas. Je n’ose pas rester sans prier, car après je dirais : Ah ! si j’avais prié Dieu !

Décidément je vais prier, au moins je n’aurai rien à me reprocher.


Jeudi 20 janvier. — Aujourd’hui Facciotti m’a