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JOURNAL

11 janvier. — Je brûle d’impatience pour que demain soir arrive, 12 janvier, la veille du nouvel an russe, pour faire la bonne aventure devant une glace.

La tante Marie nous raconte des choses saisissantes : elle-même faisait la bonne aventure devant le miroir, elle vit son mari et plusieurs choses qui ne sont pas encore accomplies. Elle dit aussi qu’on voit des horreurs et des frayeurs. J’étais si animée et agitée que je ne peux rien manger, J’ai résolu de faire la bonne aventure !…

À onze heures et demie du soir, je m’enferme : j’arrange les glaces et m’y voilà ! enfin !… Pendant longtemps, je ne voyais rien, puis, peu à peu, je distinguai quelques petites figures, mais pas plus grandes que 10 ou 12 centimètres. Je vis une multitude de têtes seulement, coiffées de la manière la plus bizarre du monde : toques, perruques, bonnets démesurés, tout cela tourné ; puis je distingue une femme, qui me ressemble, en blanc, un fichu sur la tête, le coude appuyé sur une table ; le menton sur les mains, mais légèrement, les yeux levés ; puis elle se dissipe. Je vois un plancher d’église en marbre blanc et noir, et au milieu un groupe costumé, plusieurs assis ou debout ; je n’ai pas bien compris. Il m’a semblé voir sur la gauche plusieurs hommes, comme dans un brouillard, un homme en habit, et une fiancée ; mais les figures étaient invisibles.

Au centre encore, un homme dont je ne puis voir la figure. Ce qui dominait, ce sont les têtes coiffées, et puis je suppose, moi, toutes sortes de costumes qui changeaient à chaque instant. Les scènes étaient très brillantes. Tout à fait au commencement, les garnitures du miroir, réfléchies sans fin, me parurent un instant comme un cercueil ; mais je m’aperçus de l’er-