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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

devant Achille et faisant trois fois le tour de la ville toujours poursuivi… Je ris !…

Et le héros qui passait une courroie dans ou autour des pieds de son ennemi mort, le traîne cette fois autour des mêmes remparts ; je me figure un horrible gamin galopant à cheval sur un bâton et un immense sabre de bois au côté…

Je ne sais pas… mais il me semble qu’à Rome seulement je pourrai satisfaire mes rêveries universelles…

Là, on est comme au sommet du monde.

J’ai jeté au diable le Journal d’un diplomate en Italie ; cette élégance française, cette politesse, cette admiration banale m’offensent pour Rome. Un Français m’a toujours l’air de disséquer les choses avec un long instrument qu’il tient délicatement entre ses doigts, un lorgnon sur le nez.

Rome doit être, comme ville, ce que je m’imaginais être comme femme. Toute parole employée avant et pour d’autres appliquées à… nous est une profanation.


Dimanche 19 août. — Je viens de lire Ariane par Ouida. Ce livre m’a attristée et cependant j’envie presque le sort de Gioja.

Gioja a été élevée entre Homère et Virgile ; son père mort, elle vient à pied à Rome. Là, l’attend une terrible déception. Elle s’attendait à la Rome d’Auguste.

Pendant deux ans, elle étudie dans l’atelier de Marix, le plus célèbre sculpteur de l’époque qui, sans le savoir, l’aime. Mais elle ne voit que son art jusqu’à l’apparition d’Hilarion, poète qui fait pleurer le monde entier sur ses poèmes et qui se moque de tout, millionnaire, beau comme un Dieu et adoré partout. Pendant que Marix adore en silence, Hilarion se fait aimer par caprice.