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JOURNAL

qu’enragée d’avoir perdu ce que j’aurais pu créer, la postérité décapitera toute ma famille.

Vous croyez que j’ai encore envie d’aller dans le monde ? Non, plus. Je suis aigrie, dépitée et je me fais artiste, comme les mécontents se font républicains.

Je crois que je me calomnie.


Samedi 18 août. — Lorsque je lisais Homère, je comparais ma tante en colère à Hécube dans l’incendie de Troie. Quelque abrutie qu’on soit et honteuse de confesser ses admirations classiques, personne, il me semble, ne peut échapper à cette adoration des anciens. On a beau avoir de la répugnance à répéter toujours la même chose, on a beau avoir peur de paraître transcrire ce qu’on a lu dans les admirateurs par profession ou de redire les paroles de son professeur, surtout à Paris, on n’ose pas parler de ces choses-là, on n’ose vraiment pas.

Et pourtant aucun drame moderne, aucun roman, aucune comédie à sensation, de Dumas ou de George Sand, ne m’a laissé un souvenir aussi net et une impression aussi profonde, aussi naturelle que la description de la prise de Troie.

Il me semble avoir assisté à ces horreurs, avoir entendu les cris, vu l’incendie, été avec la famille de Priam, avec ces malheureux qui se cachaient derrière les autels de leurs Dieux où les lueurs sinistres du feu a beau qui dévorait leur ville allaient les chercher et les livrer…

Et qui peut se défendre d’un léger frisson en lisant l’apparition du fantôme de Créuse ?

Mais quand je pense à Hector, venu au bas de ces remparts avec de si excellentes intentions, fuyant