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JOURNAL

veut être amusant et l’on devient extraordinaire, extravagant, impertinent et bête !


Lundi 6 août. — Vous croyez que je ne suis pas inquiète de la Russie ?! Quel est l’être assez malheureux, assez méprisable pour oublier sa patrie en danger ?… Vous croyez que cette fable de la course du lièvre et de la tortue, appliquée à la Russie et à la Turquie, ne me fait pas de mal ? Parce que je parle de pigeons et d’Américaines, est-ce que je ne suis pas inquiète, sérieusement inquiète de notre guerre ?

Pensez-vous que les 100,000 Russes égorgés seraient morts, s’il n’avait fallu pour les sauver que mes vœux, et mes anxiétés pour les défendre ?


Mardi 7 août. — J’ai été m’abrutir au Bon Marché, qui me plaît comme tout ce qui est bien organisé. On a soupé chez nous, on a ri, j’ai ri aussi, mais, c’est… égal… je suis triste, désespérée.

Et c’est impossible !! Mot affreux, désespérant, horrible, hideux !!! Mourir, mon Dieu, mourir !!! Mourir !!!! Sans avoir rien laissé après moi ? Mourir comme un chien !! comme sont mortes 100,000 femmes dont le nom est à peine gravé sur leurs tombes ! Mourir comme…

Folle, folle, qui ne voit pas ce que veut Dieu ! Dieu veut que je renonce à tout et me consacre à l’art ! Dans cinq ans, je serai encore toute jeune, peut-être serai-je belle, belle de ma beauté… Mais, si je ne devenais qu’une médiocrité artistique comme il y en a tant ?

Avec le monde, ce serait bien, mais, consacrer sa vie à cela et ne pas réussir

À Paris comme partout, il y a une colonie russe !!