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JOURNAL

J’ai la tête montée de peindre quatre personnes assises, de faire les poses des mains, des bras, les expressions. Je n’ai jamais fait que des têtes séparées en grand et en petit, je me contenterai de les semer comme des fleurs sur la toile.


Paris. — Samedi 7 juillet. — Je crois pouvoir dire avec assez de raison que, depuis fort peu de temps d’ailleurs, je suis devenue plus raisonnable, je vois les choses sous un jour assez naturel et je suis revenue de bien des illusions et de bien des chagrins.

On n’apprend la vraie sagesse que par sa propre expérience.


Dimanche 15 juillet. — Je m’ennuie au point de désirer de mourir. Je m’ennuie tant, que rien au monde, ce me semble, ne peut m’amuser, m’intéresser. Je ne désire rien, je ne veux rien ! Si, je désirerais beaucoup, n’avoir pas honte de m’abrutir tout à fait. Pouvoir, en un mot, ne rien faire, ne penser à rien, vivre comme une plante, sans en avoir de remords.

Le capitaine B… a passé la soirée chez nous, nous avons causé ; je suis assez dégoûtée de ma causerie depuis que j’ai lu ce que dit Mme de Staël sur l’imitation de l’esprit français par les étrangers. À l’écouter, on n’a qu’à se cacher dans son trou et ne jamais oser affronter le contact du sublime génie français.

Lecture, dessin, musique, mais ennui, ennui, ennui ! Il faut en dehors de ses occupations, de ses délassements, quelque chose de vivant, et je m’ennuie.

Je ne m’ennuie pas parce que je suis une grande fille à marier, non, vous avez trop bonne opinion de moi pour le croire. Je m’ennuie parce que ma vie est tout de travers et que je m’ennuie !