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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Jeudi 24 mai. — On a trop peu de deux yeux, ou il faut ne rien faire. La lecture et le dessin me fatiguent énormément et, le soir, en écrivant ces malheureuses lignes, j’ai sommeil.

Ah ! le beau temps que la jeunesse !

Comme je me souviendrai avec bonheur de ces journées d’étude, d’art ! Si je faisais ainsi toute l’année, mais un jour, une semaine par hasard… Les natures auxquelles Dieu a tant donné s’usent à ne rien faire,

Je tâche de me calmer en pensant que cet hiver, pour sûr, je me mettrai au travail. Mais mes dix-sept ans me font rougir jusqu’aux oreilles ; presque dix-sept ans et qu’ai-je fait ? Rien… Cela m’anéantit.

Je cherche, parmi les célébrités, ceux qui ont commencé tard, — pour me consoler ; oui, mais un homme à dix-sept ans, ce n’est rien, tandis que la femme de dix-sept ans en aurait vingt-trois, si elle était homme.

Aller vivre à Paris… dans le Nord, après ce beau soleil, ces nuits si pures et si douces ! Que peut-on désirer, que peut-on aimer après l’Italie !… Paris, le cœur du monde civilisé, de l’intelligence, de l’esprit, des modes, sans doute, on y va, on y reste, on s’y plaît ; il faut même y aller pour… un tas de choses, pour retourner avec plus de plaisir dans le pays de Dieu, pays des bienheureux, pays enchanté, merveilleux, divin et dont tout ce qu’on peut dire n’égalera jamais la suprême beauté, le charme mystérieux !

On arrive en Italie et l’on se moque de ses bicoques de ses lazzaroni, on a même beaucoup d’esprit en se moquant et l’on a souvent raison de se moquer, mais oubliez un instant que vous êtes une personne d’esprit et qu’il est fort amusant de se railler de tout, et vous serez, comme moi, en extase, pleurant et riant d’admiration…