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JOURNAL

Deuxième paysan. — Tu me l’as donnée.

Premier paysan. — Je l’ai prise.

Premier paysan. — Où est-elle donc ?

Deuxième paysan. — Quoi ?

Premier paysan. — La pelisse ?

Deuxième paysan. — Quelle pelisse ?

Et ainsi de suite, jusqu’à l’infini. Seulement, comme le sujet n’était pas bien drôle pour moi, j’étouffais et il me montait quelque chose au gosier, qui me faisait un mal affreux, surtout parce que je ne me permettais pas de pleurer.

Je demandai à rentrer avec Dina, laissant maman et son mari au restaurant russe.

Pendant une heure entière, je suis restée immobile, les lèvres serrées et la poitrine oppressée, ne sachant ni ce que je pensais, ni ce qui se faisait autour de moi.

Alors mon père vint me baiser les cheveux, les mains, la figure, avec des plaintes hypocrites et me dit :

— Le jour où tu aurais vraiment besoin de secours ou de protection, dis-moi un mot et je te tendrai la main.

J’ai ramassé mes dernières forces et me raidissant le gosier, je répondis :

— Le jour est venu, où est votre main ?

— À présent, tu n’as pas encore besoin, se hâta-t-il de répondre.

— Si, j’ai besoin.

— Non, non.

Et il parla d’autre chose.

— Pensez-vous, mon père, que le jour vienne où j’aurai besoin d’argent ? — Ce jour-là je me ferai chanteuse ou professeur de piano, mais je ne vous demanderai rien !