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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

cartes et nous nous sommes moqués des voyageurs. Seulement, ce soir, il fit une histoire à sa façon.

Il prit une loge à l’Opéra, mais refusa de m’y accompagner, sinon en robe de voyage.

— Vous profitez de ma position, lui dis-je, mais je ne permets pas qu’on se donne le luxe de me tyranniser. Je n’irai pas. Bonsoir !

Et me voilà chez moi. Ma position ? oui, je n’ai pas le sou, car je n’ai que des traites sur Paris, qui ne peuvent me servir auparavant.

Devant abandonner mes chevaux, j’ai donné cinq cents roubles à Kousma et suis restée avec mes traites. Je le dis à mon père, qui s’offensa et prit l’attitude la plus noble, en criant qu’il se moquait des dépenses et que dépenser pour moi ne lui coûtait rien, tant il avait dépensé dans sa vie.

Ça sent l’Europe ici, les maisons hautes et fières me relèvent les esprits presque aussi haut que leur dernier étage. Les basses habitations de Poltava m’écrasaient. Ce que je regrette, c’est l’éclairage des wagons d’hier.


Samedi 18 novembre. — Ce matin à cinq heures nous sommes entrés dans Paris.

Nous trouvâmes une dépêche de maman, au Grand-Hôtel. On prit un appartement au premier. Je pris un bain et attendis maman. Mais je suis si désespérée que rien ne me touche plus.

Elle arriva avec Dina, Dina heureuse, tranquille et continuant son œuvre de sœur de charité, d’ange gardien.

Vous devinez bien que je n’ai jamais été aussi embarrassée. Papa et maman ! Je ne savais où me mettre.

Il y eut plusieurs chocs, mais rien de trop inquiétant.