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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

chevaux partent avec nous sous l’escorte de Chocolat et de Kousma, valet de chambre de mon père.

J’allais en prendre un autre, mais Kousma, dévoré du désir de voyager, vint supplier à la manière russe de le prendre.

Chocolat surveillera, car Kousma est une manière de lunatique, qui peut très facilement s’oublier à compter les étoiles et peut se laisser enlever les chevaux et même son habit.

Ayant épousé une fille qui l’aimait depuis longtemps, après la cérémonie il s’enfuit au jardin et resta plus de deux heures à pleurer et à se plaindre comme un fou. Il l’est un peu, je crois, et son air effaré le rend très remarquable comme imbécillité.

Mon père rageait toujours. Quant à moi, je me promenais par la gare comme chez moi. Pacha se tenait éloigné en me regardant tout le temps.

Au dernier moment, on s’aperçut qu’un paquet manquait ; il s’éleva comme une tempête et on se mit à courir de tous côtés. Amélia se justifiait, je lui reprochais de mal servir. Le public écoutait et s’amusait ; ce que voyant, je redoublais d’éloquence dans la langue du Dante. Ça m’amusait surtout parce que le train nous attendait. Voilà ce qu’il y a de beau dans ce fichu pays : on y règne.

Alexandre, Paul et Pacha entrèrent dans le coupé ; mais la troisième sonnette annonçait le départ et on se pressait autour de moi.

— Paul, Paul, disait l’homme vert, laisse-moi lui dire adieu, au moins !

— Laissez-le avancer, dis-je.

Il me baisa la main et je l’embrassai sur la joue près de l’œil. C’est l’usage en Russie, mais je ne m’y étais jamais conformée.