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JOURNAL

que je la mérite. Ce que je sens, c’est un attachement de chien, un dévouement sans bornes…

— Approchez, jeune homme, et je vous donnerai ma bénédiction.

— Votre bénédiction ?

— Ma vraie. Si je vous fais parler ainsi c'est pour savoir un peu ce que sentent ceux qui aiment, car supposez que je me mette à aimer un jour, il faudra bien que j’en reconnaisse les symptômes.

— Donnez-moi cette image, dit l’homme vert qui ne la quittait pas des yeux.

Il s’agenouilla sur la chaise, dont le dossier me servait d’appuie-bras, et voulut prendre l’image, mais je l’arrêtai.

— Non, non, au cou.

Et je la lui passai au cou toute chaude encore de moi.

— Oh ! fit-il, pour cela, merci, bien merci !

Et il me baisa la main tout seul, pour la première fois.


Mercredi 8 novembre. — Il y a un archine de neige par terre, mais le temps est clair et beau. On alla de nouveau se promener dans un traîneau plus grand et aussi mal organisé, car la neige n’est pas encore assez ferme pour supporter les lourds traîneaux à fers.

Paul conduisait, et profitant des moments où Pacha était le plus mal assis, il lançait les chevaux à fond de train, nous éclaboussant de neige et faisant crier l’homme vert et rire ma vénérée personne. Il nous mena par de tels chemins et dans de tels amas de neige que l’on ne fit que demander grâce et rire. La promenade en traîneau, quelque sérieux qu’on soit semble toujours un jeu d’enfant.