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DE MARIE BASHKIRTSEFF.

Mais le doux balancement de la voiture, le parfum délicieux de la première neige, le vague, le soir, toutes ces puissances calmantes, ne diminuèrent en rien mes soubresauts d’indignation au souvenir d’A…, souvenir qui me traque comme une bête fauve et qui ne me donne pas un instant de tranquillité.

À la campagne, à peine fûmes-nous au salon que mon père commença à lancer ses coups d’épingle et enfin, voyant que je me taisais, il s’écria :

— Ta mère me dit que je finirai mes jours chez elle à la campagne ! Jamais !

Répondre, c’eût été partir à l’instant même. — Encore ce sacrifice, pensai-je, et au moins j’aurai tout fait, je ne m’accuserai pas. Je demeurai assise et je ne dis pas un mot ; seulement je me souviendrai longtemps de cette minute, tout mon sang s’est arrêté, et mon cœur cessa de battre un instant pour palpiter ensuite comme un oiseau dans l’agonie.

Je me mis à table, toujours muette et d’un air délibéré. Mon père comprit son erreur et se mit à tout trouver mauvais, à gronder les domestiques avec affectation pour avoir ensuite pour excuse un état d’irritation.

Tout à coup il s’assit sur le bord de mon fauteuil et m’entoura de ses bras. Je me dégageai aussitôt.

— Oh ! non, dis-je d’une voix ferme et qui n’avait cette fois aucun accent pleurard. Je ne veux pas rester près de toi.

— Mais si, mais si !

Et il tâchait de tourner à la plaisanterie.

— Mais c’est moi qui devrais me fâcher, ajouta-t-il.

— Aussi je ne me fâche point…


Mardi 7 novembre. — J’ai cassé mon miroir ! Mort