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JOURNAL

— Ah ! Pacha, la vie est une grande misère… Ai-je jamais été amoureuse ?

— Jamais, répondit-il.

— Pourquoi le pensez-vous ?

— À cause de votre caractère, vous ne pouvez aimer que par caprice… Aujourd’hui un homme, demain une robe, après-demain un chat.

— Je suis enchantée lorsqu’on pense cela de moi. Et vous, mon cher frère, avez-vous jamais été amoureux ?

— Je vous l’ai dit. Mais oui, je vous l’ai dit, vous le savez.

— Non, non, ce n’est pas de cela que je parle, dis-je vivement, mais avant ?

— Jamais.

— C’est drôle. Par moments je crois me tromper et vous avoir pris pour plus que vous n’êtes…

On parla de choses indifférentes et je montai chez moi. Voilà un homme, non, ne le pensons pas excellent, la désillusion serait trop désagréable. Il m’a avoué tantôt qu’il se ferait soldat.

— Pour gagner de la gloire, je vous le dis franchement.

Eh bien, cette phrase partie du fond du cœur, moitié timide moitié hardie, et vraie comme la vérité, m’a fait un énorme plaisir. Je me flatte peut-être ; mais il me semble que l’ambition lui était inconnue. Je crois me rappeler l’effet étrange que produisirent mes premières phrases d’ambition, et un jour que je parlais dans ce sens tout en peignant, l’homme vert se leva subitement et se mit à arpenter la chambre en murmurant :

— Il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose !