Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
343
DE MARIE BASHKIRTSEFF.

— Oui, à moins que vous ne jouiez la comédie, ce qu’il est impossible de faire toujours.

— Encore vrai… Et ma figure ?

— Il y a des beautés… ce qu’on nomme classiques.

— Oui, nous le savons. Après ?

— Après ? Il y a des femmes qu’on voit passer, qu’on dit jolies, et on n’y pense plus après… Mais il y a des figures qui… sont jolies et charmantes… et qui laissent une longue impression, un sentiment agréable… charmant.

— Parfait… et puis ?

— Comme vous questionnez !

— Je profite de l’occasion pour savoir un peu ce qu’on pense de moi ; je ne rencontrerai pas de sitôt un autre que je pourrai questionner ainsi, sans me compromettre. Et comment cela vous a-t-il pris ? C’est venu tout à coup, ou peu à peu ?

— Peu à peu.

— Hum, hum !

— C’est mieux, c’est plus solide. Ce qu’on aime en un jour, on cesse de l’aimer en un jour, tandis que…

— Rimez donc… ça dure toujours !

— Oui, toujours.

La conversation dura longtemps encore, et je me mis à éprouver un respect considérable pour cet homme dont l’amour est respectueux comme une religion et qui ne l’a jamais souillé ni d’une parole ni d’un regard… profane.

— Aimez-vous à parler d’amour ? demandai-je tout d’un coup.

— Non ; en parler avec indifférence, c’est une profanation.

— Cependant ça amuse.

Amuse ! se récria t-il.