Page:Bashkirtseff - Journal, 1890, tome 1.pdf/345

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
342
JOURNAL

sous vos yeux, prennent une parcelle de votre vie et semblent une partie de votre existence.

Moquez-vous ! Les sentiments les plus subtils sont les plus facilement ridiculisés. Et où la moquerie règne, la suprême finesse du sentiment disparaît.


Mercredi 1er novembre. — Aussitôt Paul sorti, je me suis trouvée seule avec cet être honnête et admirable qui se nomme Pacha.

— Alors, je vous plais toujours ?

— Ah ! Moussia, comment voulez-vous qu’on vous en parle !

— Mais simplement. Pourquoi ces réticences ? Pourquoi ne pas être simple et franc ? Je ne me moquerai pas ; si je ris, ce sont les nerfs et rien d’autre. Alors je ne vous plais plus ?…

— Pourquoi ?

— Ah ! mais, pour, pour… je ne sais plus.

— On ne peut pas se rendre compte de cela.

— Si je ne vous plais pas, vous pouvez le dire, vous êtes assez franc pour cela, et moi, assez indifférente… Voyons, est-ce le nez ? ou les yeux ?

— On voit que vous n’avez jamais aimé.

— Pourquoi ?

— Parce que du moment où l’on analyse les traits, où le nez prime les yeux, ou les yeux la bouche… cela veut dire qu’on n’aime pas.

— C’est tout à fait vrai ; qui vous l’a dit ?

— Personne.

— Ulysse ?

— Non… reprit-il ; on ne sait pas ce qui plaît… je vous dirai franchement… c’est votre air, vos manières, votre caractère surtout.

— Il est bon ?